Les résultats d’une région dépendent
donc, dans une large mesure,
de son aptitude à exploiter et à
mobiliser ses actifs et ses ressources propres,
et cette aptitude détermine également
dans quelle mesure
la région contribue aux résultats du pays.
(OCDE, 2011)
On
entend fréquemment dire que Montréal est la locomotive de l’économie du Québec.
Quelle belle analogie qui en plus d’être symboliquement vraie a le mérite de
nous faire réfléchir sur la façon dont les Québécois assureront leur capacité à
organiser leur quotidien et planifier leur avenir.
Pour
poursuivre dans l’analogie, il convient de reconnaitre que la locomotive est la
partie la plus design, la plus chromée, la plus visible, la plus photographiée
et par conséquent la plus mise en valeur du train. Elle donne une direction,
génère la puissance nécessaire au mouvement et à l’avancement du convoi. Est-ce
donc dire qu’a sa suite, les wagons sont sans intérêt ou d’un intérêt très
relatif?
Heureusement,
au cours des dernières décennies, l’État québécois a adopté un certain nombre
de mesures sensibles à la réalité des différentes régions de la province,
Montréal et Québec incluses. Du côté des milieux ruraux, on a vu apparaitre des
centaines, voire des milliers de grandes et petites initiatives visant la
croissance ou plutôt le développement, terme plus approprié à la réalité
rurale, des communautés.
Pour
ma part, je demeure d’avis que la force et la richesse du Québec résident dans
sa diversité et surtout dans le renforcement mutuel de ses composantes
urbaines, périurbaines et rurales. D’autres sont toutefois d’avis qu’en
soutenant principalement le développement de la métropole et, à la limite,
celui de la capitale, le Québec tout entier s’en portera mieux et pourra tirer
son épingle du jeu à l’échelle mondiale. Nul besoin de s’étendre ici sur les
dangers de la pensée magique!
À
l’instar du journal Les Affaires[1] et de plusieurs autres
publications à caractère économique, il faut reconnaitre l’importance de
Montréal dans l’économie du Québec. La plus récente étude de l’Institut du
Québec en collaboration avec le Conference Board du Canada (CBC) démontre que
la Métropole dépasse son poids démographique en termes d’investissements étrangers,
de brevets, de recettes fiscales, etc. Dans les faits, avec 49 % de la population,
Montréal génère 53 % de la richesse du Québec.
Plus,
selon les calculs du CBC, Montréal aurait même de deuxième plus haut niveau de
traction sur l’économie de sa province, au Canada. Les auteurs sont
catégoriques, si Montréal s’enrichit c’est tout le Québec qui est plus riche.
Par
ailleurs, considérant qu’à partir de 2015, l’essentiel de la croissance de la
population active viendra de l’apport d’immigrants et que près de 80 % des
nouveaux arrivants, autour de 40 000 personnes par année, choisissent de
s’installer dans la Métropole, force est de reconnaitre que Montréal doit jouer
un rôle particulier dans l’essor du Québec.
Mais
on admet aussi dans l’étude dévoilée par
l’Institut du Québec que Montréal sous performe, que la locomotive tourne au
ralenti. Partant de là, il devient évident, pour certains, qu’il faut
concentrer nos efforts sur le redressement de l’économie de Montréal afin de
redonner une impulsion à l’économie du Québec, et ce, dans l’intérêt économique
supérieur de la nation.
Cela
dit, le projet du gouvernement québécois d’atteindre l’équilibre budgétaire,
légitime et souhaitable, semble vouloir proposer l’idée d’un Québec homogène,
uniforme ou unidimensionnel. Est-ce là l’illustration du noble principe
d’égalité des citoyens et l’affirmation de la notion de responsabilité de
chacun? Pourquoi favoriser une communauté plutôt qu’une autre? C’est le grand
débat entre les tenants de politiques ou de décisions sectorialisées vs
territorialisées. Cela dit, l’État affirme que tous doivent contribuer à
l’effort collectif, à construire l’avenir du Québec!
Dans
tous les cas, s’il s’agit bien de l’idéal d’égalité et de responsabilisation
des individus ou des communautés, tous devront assumer qu’ils doivent devenir
les artisans de leur propre bonheur en plus d’assumer volontairement une part
de la coconstruction de l’avenir collectif. Étrangement, tout cela ressemble
beaucoup à de l’entrepreneuriat… Disons collectif!
Dans
les faits, l’État providence est mort depuis longtemps et ce qui l’avait
remplacé, l’État subsidiaire, se transforme progressivement en État
actionnaire. Pendant quelques décennies, l’État a assuré un certain leadership
dans le développement des communautés rurales, mais aujourd’hui il souhaite
revoir la forme et le fond de son engagement. Il souhaite avoir un retour sur investissement.
Ainsi,
nos régions devront non seulement se serrer la ceinture, mais aussi se serrer
les coudes, se regrouper et trouver en elles l’énergie pour assurer leur
développement économique, mais aussi leur développement social, culturel, etc. Les
leaders de nos régions devront repenser leur façon de faire et entreprendre
eux-mêmes leur développement sans attendre le leadership de l’État. Heureusement,
il y a dans l’ADN de plusieurs communautés rurales, cette culture, cette
pulsion de survie, cette attitude can do héritée d’une autre époque et
encore présente.
La
tempête s’apaisera et, souhaitons que ce soit plus tôt que tard, le
gouvernement trouvera son point d’équilibre. À ce moment, il pourra reprendre
une certaine place autour de la table afin de participer à un développement
viable qui profite à l’ensemble des parties prenantes en proposant des outils
et des leviers aux leaders locaux.
Entre
temps, les milieux ruraux doivent assumer seuls le maintien du dynamisme de
leur communauté. Un dynamisme chèrement acquis ou devrais-je dire développé. Le
défi principal sera de passer le relais à la nouvelle génération de leader et
de citoyens sans les ressources du passé. L’électrochoc visant le redressement
des finances publiques aura un effet prévisible sur la santé financière du
Québec et c’est le grand objectif, sur l’équité intergénérationnelle, mais quel
effet aura-t-il sur la population? Assisterons-nous à un désengagement des
citoyens, des bénévoles, des intrapreneurs ou au réveil de la fibre
entrepreneuriale des acteurs du développement régional et local.
La
réponse sera, pour paraphraser le poète, asymétrique. Certaines régions ou
communautés vont retourner la crise en opportunités ou en projets fédérateurs[2] et d'autres vont
s’enliser, voir s’éteindre avec une peu de l’essence du Québec.
Que
l’on s’entende ou pas sur l’étiquette à accoler à l’exercice de rationalisation
en cour, la question demeure : est-ce que Montréal peut assumer seule la
croissance et le développement socioéconomique du Québec. Poser la question
c’est y répondre diront certains. Sans préciser pourquoi, n’y comment, l’étude
dévoilée par l’institut du Québec affirme que les intérêts de Montréal et des
régions ne s’opposent pas. Au contraire, ils convergeraient.
En
effet, les régions et MRC à caractère rural sont des contributeurs essentiels
au développement social et plus encore à la croissance de la productivité du
Québec selon l’OCDE (2011) et le Centre sur la productivité et la prospérité
des HEC (2014). Montréal et Québec n’ont pas et ne peuvent assumer seules le
développement et la croissance du Québec. D’abord le développement car, par
définition, le développement d’une communauté se fait avec ladite communauté.
Montréal ne peut donc pas développer une région comme la Côte-Nord ou
l’Abitibi-Témiscamingue. Elle ne peut que développer Montréal. Et la croissance,
car, si la grande région métropolitaine génère la majorité du PIB québécois,
c’est des régions que provient la croissance de la productivité et par le fait
même les perspectives d’avenir.
« S’il est vrai que
les régions essentiellement urbaines enregistrent le plus souvent une
productivité et un PIB par habitant plus élevés, elles ne bénéficient d’aucun
avantage en termes de croissance. De fait, et contrairement à d’éventuels
préjugés, les régions essentiellement rurales sont surreprésentées parmi celles
qui connaissent la croissance la plus rapide. (OCDE, 2011)
Il ne fait plus aucun doute donc qu’une saine complémentarité
des territoires est essentielle à l’avancement du Québec. Les régions doivent
assumer leur part. Le Québec sera plus fort si chaque composante livre la
marchandise.
Partout
dans le monde, les grandes métropoles jouent un rôle fondamental non seulement
au niveau de l’économie de leur pays, mais aussi dans le rayonnement de celui-ci,
dans l’attraction de nouvelles populations, dans la fierté que peuvent tirer
les citoyens de voir une fenêtre orientée vers le monde s’ouvrir sur leur
culture, leur identité, leur raison d’être. Demandons-nous ce que seraient
devenus Les Échassiers des Baie-St-Paul s’ils s’étaient contentés de faire des
spectacles dans la région de Charlevoix?
Montréal
est notre métropole, notre locomotive et nous devons nous sentir solidaires de
sa situation, mais, pour reprendre ma question du début, est-ce à dire que les
wagons sont sans réelle valeur? Certainement pas, car ils contiennent la ressource,
la richesse du convoi. En fait, ils donnent du sens à la locomotive, une raison d’être, d’avancer. Clairement, les wagons
n’iraient nulle part sans la locomotive. À l’inverse, sans wagons, la
locomotive n’aurait rien à remorquer, elle perdrait tout son sens, la légitimité
de l’énergie que l’on y consume. Cette métaphore ou plutôt l’enjeu qu’il y a
derrière est vieux comme le monde et encore aujourd’hui on met trop souvent en
opposition les grandes villes et les régions.
Peut-être
pourrions-nous innover, faire différent des autres et nous intéresser à
l’ensemble du train et non seulement à la locomotive.
Le
25 décembre au matin, les enfants qui trouveront sous le sapin, emballée dans
du papier lustré, par des parents aimants, une locomotive, aussi belle
soit-elle, vont certainement être moins comblés que ceux qui déballeront un
petit train complet.
Joyeux
Noël.