samedi 20 décembre 2014

Billet sur le rôle des régions dans le développement économique du QC


Les résultats d’une région dépendent donc, dans une large mesure,
de son aptitude à exploiter et à mobiliser ses actifs et ses ressources propres,
et cette aptitude détermine également dans quelle mesure
la région contribue aux résultats du pays.
(OCDE, 2011)

On entend fréquemment dire que Montréal est la locomotive de l’économie du Québec. Quelle belle analogie qui en plus d’être symboliquement vraie a le mérite de nous faire réfléchir sur la façon dont les Québécois assureront leur capacité à organiser leur quotidien et planifier leur avenir.
Pour poursuivre dans l’analogie, il convient de reconnaitre que la locomotive est la partie la plus design, la plus chromée, la plus visible, la plus photographiée et par conséquent la plus mise en valeur du train. Elle donne une direction, génère la puissance nécessaire au mouvement et à l’avancement du convoi. Est-ce donc dire qu’a sa suite, les wagons sont sans intérêt ou d’un intérêt très relatif?
Heureusement, au cours des dernières décennies, l’État québécois a adopté un certain nombre de mesures sensibles à la réalité des différentes régions de la province, Montréal et Québec incluses. Du côté des milieux ruraux, on a vu apparaitre des centaines, voire des milliers de grandes et petites initiatives visant la croissance ou plutôt le développement, terme plus approprié à la réalité rurale, des communautés.
Pour ma part, je demeure d’avis que la force et la richesse du Québec résident dans sa diversité et surtout dans le renforcement mutuel de ses composantes urbaines, périurbaines et rurales. D’autres sont toutefois d’avis qu’en soutenant principalement le développement de la métropole et, à la limite, celui de la capitale, le Québec tout entier s’en portera mieux et pourra tirer son épingle du jeu à l’échelle mondiale. Nul besoin de s’étendre ici sur les dangers de la pensée magique!
À l’instar du journal Les Affaires[1] et de plusieurs autres publications à caractère économique, il faut reconnaitre l’importance de Montréal dans l’économie du Québec. La plus récente étude de l’Institut du Québec en collaboration avec le Conference Board du Canada (CBC) démontre que la Métropole dépasse son poids démographique en termes d’investissements étrangers, de brevets, de recettes fiscales, etc. Dans les faits, avec 49 % de la population, Montréal génère 53 % de la richesse du Québec.
Plus, selon les calculs du CBC, Montréal aurait même de deuxième plus haut niveau de traction sur l’économie de sa province, au Canada. Les auteurs sont catégoriques, si Montréal s’enrichit c’est tout le Québec qui est plus riche.
Par ailleurs, considérant qu’à partir de 2015, l’essentiel de la croissance de la population active viendra de l’apport d’immigrants et que près de 80 % des nouveaux arrivants, autour de 40 000 personnes par année, choisissent de s’installer dans la Métropole, force est de reconnaitre que Montréal doit jouer un rôle particulier dans l’essor du Québec.
Mais on admet aussi dans l’étude dévoilée par l’Institut du Québec que Montréal sous performe, que la locomotive tourne au ralenti. Partant de là, il devient évident, pour certains, qu’il faut concentrer nos efforts sur le redressement de l’économie de Montréal afin de redonner une impulsion à l’économie du Québec, et ce, dans l’intérêt économique supérieur de la nation.
Cela dit, le projet du gouvernement québécois d’atteindre l’équilibre budgétaire, légitime et souhaitable, semble vouloir proposer l’idée d’un Québec homogène, uniforme ou unidimensionnel. Est-ce là l’illustration du noble principe d’égalité des citoyens et l’affirmation de la notion de responsabilité de chacun? Pourquoi favoriser une communauté plutôt qu’une autre? C’est le grand débat entre les tenants de politiques ou de décisions sectorialisées vs territorialisées. Cela dit, l’État affirme que tous doivent contribuer à l’effort collectif, à construire l’avenir du Québec!
Dans tous les cas, s’il s’agit bien de l’idéal d’égalité et de responsabilisation des individus ou des communautés, tous devront assumer qu’ils doivent devenir les artisans de leur propre bonheur en plus d’assumer volontairement une part de la coconstruction de l’avenir collectif. Étrangement, tout cela ressemble beaucoup à de l’entrepreneuriat… Disons collectif!
Dans les faits, l’État providence est mort depuis longtemps et ce qui l’avait remplacé, l’État subsidiaire, se transforme progressivement en État actionnaire. Pendant quelques décennies, l’État a assuré un certain leadership dans le développement des communautés rurales, mais aujourd’hui il souhaite revoir la forme et le fond de son engagement. Il souhaite avoir un retour sur investissement.
Ainsi, nos régions devront non seulement se serrer la ceinture, mais aussi se serrer les coudes, se regrouper et trouver en elles l’énergie pour assurer leur développement économique, mais aussi leur développement social, culturel, etc. Les leaders de nos régions devront repenser leur façon de faire et entreprendre eux-mêmes leur développement sans attendre le leadership de l’État. Heureusement, il y a dans l’ADN de plusieurs communautés rurales, cette culture, cette pulsion de survie, cette attitude can do héritée d’une autre époque et encore présente.
La tempête s’apaisera et, souhaitons que ce soit plus tôt que tard, le gouvernement trouvera son point d’équilibre. À ce moment, il pourra reprendre une certaine place autour de la table afin de participer à un développement viable qui profite à l’ensemble des parties prenantes en proposant des outils et des leviers aux leaders locaux.
Entre temps, les milieux ruraux doivent assumer seuls le maintien du dynamisme de leur communauté. Un dynamisme chèrement acquis ou devrais-je dire développé. Le défi principal sera de passer le relais à la nouvelle génération de leader et de citoyens sans les ressources du passé. L’électrochoc visant le redressement des finances publiques aura un effet prévisible sur la santé financière du Québec et c’est le grand objectif, sur l’équité intergénérationnelle, mais quel effet aura-t-il sur la population? Assisterons-nous à un désengagement des citoyens, des bénévoles, des intrapreneurs ou au réveil de la fibre entrepreneuriale des acteurs du développement régional et local.
La réponse sera, pour paraphraser le poète, asymétrique. Certaines régions ou communautés vont retourner la crise en opportunités ou en projets fédérateurs[2] et d'autres vont s’enliser, voir s’éteindre avec une peu de l’essence du Québec.
Que l’on s’entende ou pas sur l’étiquette à accoler à l’exercice de rationalisation en cour, la question demeure : est-ce que Montréal peut assumer seule la croissance et le développement socioéconomique du Québec. Poser la question c’est y répondre diront certains. Sans préciser pourquoi, n’y comment, l’étude dévoilée par l’institut du Québec affirme que les intérêts de Montréal et des régions ne s’opposent pas. Au contraire, ils convergeraient.
En effet, les régions et MRC à caractère rural sont des contributeurs essentiels au développement social et plus encore à la croissance de la productivité du Québec selon l’OCDE (2011) et le Centre sur la productivité et la prospérité des HEC (2014). Montréal et Québec n’ont pas et ne peuvent assumer seules le développement et la croissance du Québec. D’abord le développement car, par définition, le développement d’une communauté se fait avec ladite communauté. Montréal ne peut donc pas développer une région comme la Côte-Nord ou l’Abitibi-Témiscamingue. Elle ne peut que développer Montréal. Et la croissance, car, si la grande région métropolitaine génère la majorité du PIB québécois, c’est des régions que provient la croissance de la productivité et par le fait même les perspectives d’avenir.  
« S’il est vrai que les régions essentiellement urbaines enregistrent le plus souvent une productivité et un PIB par habitant plus élevés, elles ne bénéficient d’aucun avantage en termes de croissance. De fait, et contrairement à d’éventuels préjugés, les régions essentiellement rurales sont surreprésentées parmi celles qui connaissent la croissance la plus rapide. (OCDE, 2011)
Il ne fait plus aucun doute donc qu’une saine complémentarité des territoires est essentielle à l’avancement du Québec. Les régions doivent assumer leur part. Le Québec sera plus fort si chaque composante livre la marchandise.
Partout dans le monde, les grandes métropoles jouent un rôle fondamental non seulement au niveau de l’économie de leur pays, mais aussi dans le rayonnement de celui-ci, dans l’attraction de nouvelles populations, dans la fierté que peuvent tirer les citoyens de voir une fenêtre orientée vers le monde s’ouvrir sur leur culture, leur identité, leur raison d’être. Demandons-nous ce que seraient devenus Les Échassiers des Baie-St-Paul s’ils s’étaient contentés de faire des spectacles dans la région de Charlevoix?
Montréal est notre métropole, notre locomotive et nous devons nous sentir solidaires de sa situation, mais, pour reprendre ma question du début, est-ce à dire que les wagons sont sans réelle valeur? Certainement pas, car ils contiennent la ressource, la richesse du convoi. En fait, ils donnent du sens à la locomotive, une raison d’être, d’avancer. Clairement, les wagons n’iraient nulle part sans la locomotive. À l’inverse, sans wagons, la locomotive n’aurait rien à remorquer, elle perdrait tout son sens, la légitimité de l’énergie que l’on y consume. Cette métaphore ou plutôt l’enjeu qu’il y a derrière est vieux comme le monde et encore aujourd’hui on met trop souvent en opposition les grandes villes et les régions.
Peut-être pourrions-nous innover, faire différent des autres et nous intéresser à l’ensemble du train et non seulement à la locomotive.  
Le 25 décembre au matin, les enfants qui trouveront sous le sapin, emballée dans du papier lustré, par des parents aimants, une locomotive, aussi belle soit-elle, vont certainement être moins comblés que ceux qui déballeront un petit train complet.
Joyeux Noël.

dimanche 7 décembre 2014

Billet sur l'éducation et les régions

« La continuité biologique de l’humanité est assurée par le mécanisme de la procréation.
Sa continuité culturelle ne l’est que par le système éducatif »

 « Le rôle de l’école est d’intégrer un petit homme dans la communauté humaine,
de transformer un individu en personne.
Répétons-le : c’est e-ducere, c’est conduire un jeune hors de lui-même,
le faire exister dans les échanges qu’il vit avec les autres.»





Au chapitre des bons coups que nous avons réalisés au Québec, et je suis de ceux qui pensent qu’il y en a eu quelques-uns, l’accès universel à l’éducation de la maternelle à l’université trône définitivement en tête de liste. Selon certains spécialistes, le Québec ferait même figure de précurseur voire de leader en la matière à l’échelle mondiale ce qui expliquerait, entre autres, le fait que le Québec obtient les meilleurs taux de diplomation postsecondaire en Amérique du Nord.

L’éducation (la connaissance) est le plus beau cadeau qu’un individu, une communauté, un pays peuvent se faire. Celle-ci orientera évidemment le cheminement professionnel de l’individu, mais au-delà de cela, l’éducation permettra à celui-ci de se doter d’un certain jugement critique, d’adopter de saines habitudes de vie, de poser un regard et de développer une pensée plus holistique du devenir collectif, etc. C'est pourquoi les importantes réformes à prévoir dans le secteur de l’éducation ne peuvent être assimilées à un simple exercice comptable, aussi pertinent soit-il[1][2]. Celles-ci auront nécessairement un impact sur le devenir d’une génération de jeunes Québécois, certes, mes aussi sur les savoirs faire et être collectifs. [3]

Bien entendu, il y a plusieurs façons de s’offrir un cadeau. La présentation ainsi que l’emballage peuvent varier du papier journal au papier ciré. Il demeure tout de même important d’être responsable en la matière et d’éviter que les débats deviennent idéologiques, car les citoyens méritent mieux, pas plus, mieux. Cela dit, là n’est certainement pas la question. Le point est davantage de comprendre que l’éducation est, au-delà d’un processus d’apprentissage ou d’un service public, une valeur intimement liée à la notion de développement, de progrès et jusqu’à un certain point d’enrichissement. Mais, plus important encore, c’est une question d’équité des chances de développement des individus et collectivités.

Il s’agit donc d’une question qui, au moins depuis 2012, devrait interpeller chaque citoyen, car elle touche le devenir collectif. Eh bien non! Si, dans la plupart des régions, les réformes du milieu de l’éducation, qu’elles touchent les niveaux primaire, secondaire, collégial ou universitaire, trouvent écho du côté des élus locaux et de quelques leaders d’opinion, on entend très peu la société civile ainsi que les milieux des affaires ou de la culture se questionner ou à tout le moins s’intéresser au dossier. Certains pourraient être intéressés de se demander quelle valeur on accorde à l’éducation en région?

C’est là que le sujet devient intéressant quant il s’agit de réfléchir à l’éducation en région. J’exagère à peine, pour l’avoir vécu, en disant que pour certains, être titulaire d’un diplôme d’études collégiales ou d’un grade universitaire est équivalent à devenir criminel en ce sens que le précieux symbole discrédite, rend suspect. S’éduquer ou plutôt trop s’éduquer représente une perte de temps, d’énergie et d’argent pour encore beaucoup trop de personnes en région. C’est alors que l’on entend ce genre de paroles «regarde-moi, j’ai seulement ma neuvième année et cela ne m’a pas empêché de bien gagner ma vie» ou pis encore « il ne faut pas trop valoriser l’éducation, car ça va faire augmenter les salaires dans les usines ». On est loin de la tête bien faite. 

Pour d’autres, comme dans la municipalité de Lac-Édouard, il s’agit d’un investissement essentiel pour affronter ce monde de plus en plus complexe et compétitif. Certains pourront assimiler cette dualité à un combat entre une vision romantique ou passéiste et une vision d’avenir et positive des régions.[4]

Bien que la vision favorable à l’éducation gagne assurément du terrain, il demeure que les deux points de vue se côtoient encore aujourd’hui. Est-ce seulement là une zone de friction intergénérationnelle? Peut-être qu’en partie il s’agit d’un débat entre une génération d’Hommes qui se sentent responsables de mettre du pain sur la table et une autre qui veut aller sur la lune! Mais cela n’expliquerait pas pourquoi plusieurs jeunes pensent encore de cette façon aujourd’hui! Parallèlement, beaucoup de jeunes ruraux ont quitté leur milieu pour s’instruire et, comme plusieurs, ne sont pas revenus en région parce qu’ostracisés, mais pire encore, ils ont coupé les liens avec leur milieu entretenant aujourd’hui une forme de ressentiment.

J’ai déjà affirmé que les ruraux sont généralement des pragmatiques, avec une conception d’un temps cyclique. Ce faisant, peut-être qu’au bout du compte ces jeunes ne voient aucun avantage à se questionner sur le sexe des anges. Peut-être que la nature n’a pas à être comprise, mais plutôt être contemplée, servie ou harnachée.

Cela dit, aujourd'hui, le débat sur l’importance de l’éducation est devenu davantage un débat sur la fonction. Évidemment, on ne remet plus en question l’importance de bien lire et écrire même si le niveau de sous-scolarisation ou d’analphabètes demeure très haut[5].

Le Nord-du-Québec (46,8 %) et l’AbitibiTémiscamingue
(35,3 %) sont les deux régions où la
proportion de la population de 15 ans et plus n’ayant aucun
diplôme est la plus élevée. À l’autre bout du spectre, cette
proportion est la plus basse dans les régions où se situent
les deux principales agglomérations urbaines de la province
– 19,1% dans la région de la Capitale-Nationale (03)
et 21,5% dans celle de Montréal (06).

Dans les faits, les ruraux demeurent des pragmatiques. Ce qui compte c’est le rôle concret qu’un individu joue dans la collectivité. Si Paul est soudeur, que Marc est comptable ou que Louise est ingénieure, on comprend en quoi ils contribuent. Disons que c’est plus difficile pour quelqu’un qui vient de compléter un DEC en Art et lettres ou en philosophie.

Comportement relevant d’un triste archaïsme clanique. Pas d’un point de vue sociologique en tout cas. Évidemment, il s’agit là d’une attitude qui peu être lourde de conséquences, mais en même temps, d’un point de vue anthropologique, il y a là quelque chose de beau, de grand. Comprenons que de ce point de vue, les gens comptent sur la personne, lui attribuent une fonction, une valeur positive dans la communauté. Dans les grands centres urbains, j’ai l’impression que le vivre et laisser vivre a fait place à un désintéressement de la valeur de l’individu dans le groupe.

Ceci dit, en région, l’homogénéité du groupe amène-t-elle à penser que ce que la personne a à savoir, à questionner, se limite aux frontières de la communauté? Ce qui est et demeure un grand avantage en région c’est-à-dire la simplicité de la vie qui y est vécue deviendrait-elle une limite à l’épanouissement intellectuel?

Historiquement, les lieux de diffusion intellectuelle, de savoir scientifique et de culture étaient des lieux de passage, de grands centres cosmopolites, des ports, etc. Mais cette culture, c’est savoirs, ces identités devaient émerger de foyers de sens qui eux n’étaient pas l’apanage exclusif des grands centres. Y a-t-il là l'ébauche d’une explication des fonctions ou des complémentarités entre les milieux urbains, lieux de convergences et de diffusion des savoirs, et les milieux ruraux, environnement fertile favorisant l’émergence de savoirs et d'expériences spécifiques. Peut-être, possible, mais attention aux raccourcis intellectuels.

Mais un autre élément me semble signifiant. Peu importe dans quel camp ils se situent, les ruraux aiment, adorent leur coin de pays, leur mode de vie, l’esprit du lieu. L’éducation, avec ces préceptes qui viennent le plus souvent d’un ailleurs suspect est-elle une menace à cette relation viscérale et rassurante? La réponse que je me suis bâtie avec le temps est non, mais cela demeure ma réponse, aujourd’hui.
Accueil

Ma chronique du 1 décembre à l'émission Question d'actualité avec Jean-Philippe Trottier sur 91,3 FM.

vendredi 21 novembre 2014

Les jeunes Québécois en quête de travail sont de plus en plus attirés vers l’Ouest canadien. Claudia Néron en discute avec Marc-Étienne Julien, président de Randstad Canada et Mathieu Vigneault, directeur général de Place aux jeunes en région. Émission À la une du 18 novembre 2014.
«À la une» - 231


http://argent.canoe.ca/videos/video-la-une-18-novembre-2014?bctid=3898061580001

mardi 11 novembre 2014

Biais sur l’argent et les entrepreneurs en région

L’argent, ce mal-aimé des Québécois, dit-on, qui à l’origine devait être un outil est devenu, pour certains, une fin en soi qui conditionne les humeurs et les comportements.  Pour les ruraux on se rappellera, sourire en coin, de Séraphin Poudrier comme une certaine représentation d’un quelconque Québec rural du 19e siècle.
Aujourd’hui, cette relation ambivalente des Québécois à l’argent a tendance à s’exprimer notamment à travers l’opinion que les gens ont des entreprises et/ou des gens d’affaires. En effet, symptôme d’une incompréhension quasi généralisée, on associe souvent personnalité d’affaire à richesse, fortune, avidité, insensibilité, etc. Ce qui est aussi farfelu que de faire un lien entre politique et corruption ou entre chômage et paresse, mais les raccourcis intellectuels sont tenaces.
Évidemment, il faut faire des distinctions, car il y a un monde entre la grande entreprise, transnationale, spéculative et désincarnée et la PME locale. Cela dit, dans tous les cas, les envieux auront toujours quelques choses à reprocher à celui ou celle qui a réussi en affaire comme dans n’importe quel autre domaine. Toutefois, pour le reste des gens, il m’apparait que c’est une question de relation et de perception du rôle de l’entrepreneur dans la collectivité. Dans le procès initié contre l’argent, apparaît en toile de fond le faux débat entre bien-être collectif et bien-être individuel occultant du même coup la vraie question de la juste contribution de chacun au devenir collectif (voir passage de la bible sur les talents confiés à deux ouvriers).
Les entrepreneurs ont un rôle extrêmement important à jouer dans nos communautés, car ils sont et demeurent les premier et principaux concentrateurs de richesse (comme à l’habitude j’ai eu comme premier réflexe d’écrire « créateur de richesse ») alors qu’en réalité, dans un monde fini aux ressources limitées, on ne crée réellement que très rarement de la richesse, et encore là c’est tout un débat, l’idée la plus juste sera alors de parler de concentration de richesse en un lieu X en une période Y.  C’est là leur principale fonction dans l’écosystème collectif. Bien entendu, peu d’entre eux ont une vision aussi désincarnée de leur destiné. Néanmoins, ils ont pour la plupart une certaine conception de leur rôle dans la communauté. Des plus égocentriques aux plus altruistes.
En région, rappelons que l’anonymat n’existe pas ou très peu, c’est une réalité qui fait fuir plusieurs jeunes au début de l’âge adulte et nombre de « gentlemen farmer » après avoir bien pris la mesure de leur nouvelle réalité sociale. Toutefois, c’est aussi une des raisons qui poussent des centaines de jeunes par année à se lancer en affaire en milieu rural. Il est intéressant de savoir que le statut social et la reconnaissance sont deux des principaux stimulants de l’entrepreneur en devenir, mais aussi de comprendre qu’en région, l’engagement collectif et la solidarité en sont deux des principales portes d’accès.
Si les astres s’alignent favorablement, l’entrepreneur à succès se retrouve devant deux options : celle de jouer son rôle de développeur régional en y investissant une certaine intensité, souvent relative au rôle que veut bien lui confier sa communauté, ou celle de quitter la région physiquement ou virtuellement  pour éviter de se laisser entrainer, de façon stérile, dans des jeux de pouvoir ou d’influence sans véritable gagnant et ce, fréquemment au détriment de la PME elle-même.
Si, après des années, des décennies de travail et d’investissement en ressources de toutes sortes,  le temps étant souvent le plus précieux, l’entrepreneur connaît un certain succès, et que par grand bonheur il est, un tant soit peu, de la trempe des développeurs, deux autres options se présentent. La première est de s’investir au maximum dans la communauté tout en visant la pérennité de l’entreprise sans plus [1](voir aussi étude Desjardins, 2014), ou y aller à fond dans le développement de l’entreprise avec l’ambition de générer le plus d’externalités possible pour le bien de l’entreprise elle-même, mais aussi pour celui de la communauté. L’histoire s’occupera de reconnaître, le cas échéant, la contribution de l’entrepreneur dans sa communauté. Certains diront, non sans une quelconque perspicacité, que la plupart des entrepreneurs tenteront la seconde option avant de se rabattre sur la première.
Il n’en demeure pas moins que le sentiment d’appartenance et la solidarité deviennent alors des forces centrifuges ou centripètes. Dans certains cas l’entrepreneur se voit comme un acteur de développement fiduciaire d’un actif collectif[2] (voir texte sur l’entrepreneur 2.0).
Pour certains, les entrepreneurs qui ne veulent plus croitre sont à bout de souffle et c’est vrai, car le Québec est encore accroché au vieux modèle du « self-made-man », le super héros qui œuvre seul et sur qui repose l’avenir de l’entreprise. Il faut assurément revoir nos modèles d’affaires, envisager davantage l’entreprise réseau, le véritable entrepreneuriat collectif ou la formule coopérative, particulièrement dans les milieux ruraux d’où a émergé ce modèle.
Cela dit, le rapport à l’argent fait encore éminemment partie de l’équation et des rapports entre les ruraux. C'est pourquoi le volet solidarité influence positivement ou négativement le rapport à l’argent. En région, des centaines et des centaines d’entrepreneurs à succès comme Louis Gilbert, important entrepreneur et développeur de mon village ou Mme Verreault en Gaspésie redonnent ou ont redonné beaucoup à leur collectivité. Cela fait partie d’une forme de contrat social qui renoue avec l’idée que tous et particulièrement ceux à qui la vie a souri, les entrepreneurs à succès en sont fréquemment les plus connus, ont un rôle à jouer dans la communauté.
Comprenons ici que pour une majorité de ruraux le travail est une valeur sacrée, plus encore, un mode de vie, possible reliquat de la période agraire. Ainsi, consciemment ou non, comme les ruraux se représentent souvent comme de « bons travaillants », mais que tous n’obtiennent pas le même succès, il devient alors évident qu’à effort égal, ceux qui réussissent ont assurément été gratifiés de plus de talent et à se compte, doivent en redonner un peu plus à la collectivité. Ainsi, à titre de privilégié par la nature(ou de Dieu au sens anthropologique du terme), si le bien nanti ne redonne pas autour de lui, qu’il ne s’implique d’aucune façon dans la communauté -et il n’est pas nécessairement question d’argent ici-, c’est là qu’il peut devenir un simple opportuniste, à tort ou à raison[3].
En ville, bien que tout aussi présent et conditionnant les relations sociales, le rapport à l’argent me semble moins partie prenante de la construction d’une relation entre deux individus agissant à l’intérieur d’un tout cohérent, la communauté de proximité, elle-même intervenant dans la relation. L’effet de masse et/ou la fonctionnalisation/fragmentation des réseaux sociaux semble avoir favorisé le développement d’une relation à l’argent plus éthérée ou plutôt noyée dans une mer d’anonymat. Le contraire de la réalité en région ou les « biens nantis » sont toujours partie prenante de la communauté alors qu’en ville on ne connaît que très rarement le propriétaire de l’entreprise du coin.
Ainsi en région, le méchant riche se nomme Pierre-Jean-Jacques, habite sur la rue des Mal-aimés et a fait fortune à vendre des bébés aux sorcières. Alors qu’en ville, le même désagréable personnage tient plutôt du bonhomme sept-heure ou de l’ogre malveillant. Une force menaçante et insaisissable qu’il faut craindre parce qu’elle nous veut du mal…..Bon Halloween.
Accueil


Chronique du 3 novembre à l'émission Question d’actualité.




mercredi 5 novembre 2014

Le boom démographique de la MRC Jacques-Cartier



La MRC de la Jacques-Cartier est en plein boom démographique. L'âge moyen est de 35 ans, alors qu'il est beaucoup plus élevé pour le reste de la région. C'est à cet endroit que vont s'installer les jeunes familles, n'en déplaise à Qc qui fait des pieds et des mains pour attirer ces dernières. Pourquoi en est-il ainsi ? Comment gère-t-on ce développement résidentiel important sans défigurer l'aspect rural et sauvage de l'endroit ? La MRC de la Jacques-Cartier : le nouvel Eldorado des jeunes familles? Invité(es) :Mathieu Vigneault, Robert Miller, Mario Carrier.


mercredi 29 octobre 2014

Présentation lors du colloque anniversaire de l'OJS

Observatoire Jeunes et soci�t�
https://www.youtube.com/watch?v=Oy9eCOl7Yg4

Colloque anniversaire sous le thème:
15 ans de recherche auprès des jeunes


« La recherche, outil de choix pour bâtir une politique pour la jeunesse? »
Lieu : Hall d’entrée de l’Édifice INRS-Québec

Au moment où le gouvernement du Québec s’apprête à élaborer une nouvelle politique de la jeunesse,  quelle place devrait occuper la recherche? Quelle vision de la jeunesse devrait inspirer ces politiques?  Deux questions qui seront abordées lors de la table ronde présentée en ouverture du colloque.

samedi 27 septembre 2014

Billet sur la valeur de l'espace!


C’est grand le Québec, dit-on! Je m’apprête à vivre l’une des expériences ultimes de l’étendue de notre territoire. Après avoir parcouru la très grande majorité des coins du Québec pour affaires, études ou pour le loisir, je m’embarque aujourd’hui pour les Îles-de-la-Madeleine! Particulièrement excité, car selon la bibliothèque familiale, après cinq générations, je suis le premier à retourner à l’endroit où se sont fixés mes ancêtres au retour du « Grand dérangement ». Toutefois, c’est à titre de développeur économique que ce cours voyage dans le golf du St-Laurent m’enthousiasme le plus. (Mon entrevue sur les ondes de CFIM)


Oui c’est grand le Québec, plus que la majorité d’entre nous (ruraux de la vallée du St-Laurent comme urbain) peut l’imaginer. Et pour moi c’est clairement une richesse. De tout temps les royaumes et autres états du monde  ne se sont-ils pas battus pour élargir leurs frontières à la recherche de ressources naturelles, de  nouvelles populations, de marchés pour l’économie métropolitaine, etc.  Et nous, Québécois du 21e siècle avons hérité de tout cela; un territoire vaste qui se conjugue en milliers de kilomètres.

En y repensant bien, avec l’état des finances publiques et la pyramide démographique qui s’inverse, est-ce devenu un problème? Au mieux un défi?

Mais quant est-il? Comment se faire une tête sur la valeur de cet actif collectif? Il y a, bien entendu, le fait que les secteurs agroalimentaire, de la forêt ou des mines sont des moteurs de l’économie de l’ensemble du Québec, mais encore!

À mon sens, ces espaces majestueux constituent à la base une partie, voire l’architecture ou l’ADN de notre identité collective québécoise. D’abord, l’idée que tout autour de nous est abondant, que la ressource est à portée de main nous a servis. Nous avons cultivé la terre pour nous nourrir et pour bâtir nos maisons, nos villes, puis les usines nécessaires à l’exploitation des ressources sont apparues et de là l’expertise à la racine du Québec Inc.  Mais au-delà de la ressource, il y a ces distances vertigineuses  qui ont concouru à bâtir la québécitude.

Pour beaucoup on se définit par rapport à l’autre et quand l’autre est loin cela a une influence sur la façon dont l’individu se définit. C’est la même réalité pour nos régions chez qui on a découvert certains traits et une identité territoriale forte. Concrètement, on retrouve cette réalité largement expliquée par le phénomène d’insularité. Au-delà de la lettre il s’agit de l’isolement, pendant un temps plus ou moins long, d’une communauté du reste de sa société d’appartenance au point où les insulaires en viennent à développer une perception d’eux-mêmes fortement teintée de leur relation de proximité avec l’environnement, par exemple. 
Ainsi, au 18e et 19e siècle, à une époque faite de temps longs, se sont développées la plupart de nos régions et certainement celles dont l’identité s’affirme avec le plus de vigueur. On imagine facilement l’épopée de nos amis Madelinots et Gaspésiens, mais il y a aussi, celle des Beaucerons, des Sagamiens et plus récemment nos compatriotes de l’Abitibi-Témiscamingue.

Aujourd’hui, évidemment, la distance ne se vit plus de la même façon, mais elle continue d’incarner ces particularismes régionaux qui demeurent fondamentalement importants et signifiants. Heureusement toutefois, pour l’entrée en scène des Québécois dans la modernité, le développement des modes de transport et des TIC a facilité l’interconnexion entre les différentes régions et les grands centres et permis de faire le pari d’un Québec moderne et ouvert sur le monde.

C’est voies de communication établies, nos décideurs, nos intellectuels, nos artistes, nos jeunes et nos entrepreneurs ont pu légitimement miser sur leur développement en puisant dans les énergies de leurs racines, en sachant que le monde leur était accessible sans pour autant se couper de leurs origines. Depuis, c’est autant de Dubuc, de Bouchard, de Lemaire, de Leclerc, de Dutils, etc., qui ont contribué au développement du Québec et à son rayonnement dans le monde. Il ne fait aucun doute pour moi que ce que les régions ont dans l’âme c’est-à-dire une relation à l’espace, au temps, au pouvoir, etc., contribue à rendre plus dynamique et plus prospère l’ensemble du Québec. 

Quand je retourne dans mes souvenirs, que je me rappelle mon grand-père agriculteur et forestier toute sa vie ou quand je pense à mon voisin toujours aussi actif sur ses terres à 80 ans et que je fais le parallèle avec ma propre vie aujourd’hui, je comprends mieux l’idée que l’espace et le temps n’ont pas la même signification en milieu rural et en milieu urbain. Pour mon grand-père le temps était long et circulaire. Il était rythmé par les saisons et l’idée que ce qui va mourir aujourd’hui pourra renaitre demain. Au bout du compte, ce qui était important était qu’à titre de seul maître de son environnement après Dieu, il avait la responsabilité d’entretenir le cycle. Mes amis Madelinots disent eux qu’ils ne regardent pas l’heure, ils regardent le temps.

À l’inverse pour ma part, j’ai l’impression que chaque minute compte. Qu’une heure dans le trafic, sur lequel je n’ai aucun contrôle, est une heure perdue à jamais. Que mon grand défi soit de gagner un temps qui ne m’appartient pas, voir que je doive le dérober à quelqu’un d’autre… Est-ce à cela que Sartre faisait référence quand il disait l’enfer c’est les autres?

Faut-il donc s’inquiéter de la diminution de l’accessibilité des services de transport[1]  reliant les régions les plus excentrées aux grands centres urbains? Ou du déploiement trop lent des communications Internet à large bande par rapport à l’évolution rapide de la planète internet, la nouvelle échelle de référence[2]? Certainement! Collectivement on ne peut considérer qu’une partie du Québec soit davantage ouverte sur le monde qu’une autre! Nous avons tous l’obligation de nous comparer aux meilleurs...fussent-ils à l’autre bout du monde.

Accueil
Par ailleurs, aujourd’hui plus que jamais, on ne peut imaginer ou faire l’économie d’une région n’assumant pas son plein potentiel au bénéfice de sa propre population d’abord, mais aussi pour l’ensemble du Québec. Cependant, la situation économique suggère que nous ne pouvons pas nous contenter de solutions faciles du genre tout au marché, tout à l’État ou tout au citoyen. Généralement, ni l’un ni l’autre n’a les moyens d’assumer seul le maintien des régions dans la chaîne de création de valeur. L’heure est à la responsabilisation de tous en faisant preuve de ténacité et de créativité; deux qualités dont les ruraux sont bien pourvus!

vendredi 12 septembre 2014

Billet sur l'emploi en région

L’emploi en région, du concret!

Aujourd’hui encore il est vrai de dire que les ressources naturelles ou plus largement le secteur primaire conditionne et rythme le marché de l’emploi dans l’ensemble des régions du Québec. L’agriculture est omniprésente dans la vallée du Saint-Laurent et les secteurs de la forêt et des mines génèrent un nombre important d’emplois au nord du fleuve. Dans les deux cas et dans bien d’autres secteurs qui y sont apparentés, on croise des gens que l’on pourrait qualifier de pragmatiques parce que leur emploi s’appuie sur du concret. Ce constat peut paraitre sans intérêt, simpliste même, mais dans un monde où l’instrumentalisation et la spéculation sont devenues les axes du bonheur, de replonger les mains dans la terre ou à tout le moins de rencontrer ceux qui le font encore quotidiennement est pour le moins salutaire.

Pour beaucoup de jeunes que je rencontre en région, l’emploi n’est pas seulement un salaire, voie d’accès à la consommation ou l’incarnation d’un statut social, c’est surtout une façon de pouvoir continuer à vivre à proximité de la famille et des amis. C’est aussi une façon de pouvoir habiter un endroit, un lieu qui leur est cher ou qui correspond à certaines valeurs importantes. C’est en partie pour ces raisons que l’on parle de drame lorsqu’une usine ferme ses portes en région (Résolu, Cascade, Électrolux, etc.). Et le drame est double voir triple. D’abord, il y a le choc de perdre son gagne-pain avec tout ce que cela implique puis il y a l’angoisse de devoir s’expatrier loin de son milieu de vie pour continuer à subvenir à ses besoins. Bien entendu, il s’agit d’une situation lourde de conséquences qui peut toucher chacun d’entre nous. Pour l’urbain toutefois, la probabilité de retrouver un emploi décent dans un rayon raisonnable demeure plus importante. Enfin, il y a l’impact direct sur la collectivité, par exemple l’offre de services de proximité, menacée par une spirale de dévitalisation (Via, Orléan, Post Can.).

Les dernières nouvelles entourant la fermeture de l’usine Cascades d’East-Angus et plus récemment de l’usine Résolu de Shawinigan, peuvent laisser perplexe quant à l’avenir du marché de l’emploi et de la pérennité de certaines régions. Dans un registre à peine plus positif, le ministère de l’Emploi prévoit une croissance modeste du marché de l’emploi dans le futur. Pourtant, certaines personnes, groupes ou entreprises parlent de pénurie de main-d’œuvre laissant entendre que les perspectives d’emplois sont plutôt bonnes pour les jeunes en région. Pas évident de s’y retrouver! Dans les faits, il s’agit d’une question de segmentation du marché de l’emploi en région. En effet, pour beaucoup de communautés, des besoins importants de main-d’œuvre, généralement qualifiée, se font sentir.

En réalité, on est en train d’assister à ce que certains ont qualifié de désindustrialisation, d’autres ont parlé de modernisation. Dans tous les cas, il s’agit d’une « tiercerisation » i.e. que l’économie des régions, principalement composée des secteurs primaire et secondaire, intègre de plus en plus du secteur des services. En même temps, les trois secteurs vivent une complexification scientifique ou technique qui nécessite davantage de qualifications pour faire le travail. Inutile de dire à quel point la question de l’éducation et particulièrement celle de l’éducation postsecondaire et professionnelle en région est cruciale.

Est-ce à dire que je vais rencontrer de moins en moins de ces mains terreuses, éminents pragmatiques solidement enracinés dans la réalité, dans un Québec de plus en plus virtuel??? Rien n’est moins sûr. Peut-être en nombre, mais certainement pas en qualité. Cette relation privilégiée à l’espace et au temps est certes un héritage qui se transmet de génération en génération, mais comme un bon rhume, c’est aussi quelque chose qui s’attrape dans la proximité. En attendant de tous attraper ce mal nécessaire, en fin de semaine avaient lieu les portes ouvertes de l’UPA. Des centaines d’entreprises agricoles ouvraient leurs portes pour montrer aux gens comment fonctionne une ferme, et dans certains, cas expliquer que le contenu de notre burger a déjà brouté paisiblement par ici bref, que la nourriture ne tombe pas du ciel, sauf peut-être pour les pomiculteurs.

Accueil

jeudi 8 mai 2014

Billet sur l’importance de l’immigration en région

Billet sur l’importance de l’immigration en région

Le renversement de la pyramide démographique est l’un des enjeux – sinon le plus grand – auxquels fera face l’ensemble des nations et des états occidentaux. Le Québec ne fait pas exception : il se dirige même plus rapidement que les autres vers un inquiétant déséquilibre sociodémographique, les régions à caractère rural en tête. C’est pourquoi, selon plusieurs experts, la mobilité internationale et interrégionale des personnes est devenue un indicateur de santé socioéconomique et un important facteur de développement. Il n’est donc pas étonnant de constater que le développement démographique et la question de l’attractivité des territoires soient devenus une priorité pour la majorité des régions du Québec. C’est dans cet esprit que l’Assemblée nationale a adopté, le 5 avril 2012, une loi-cadre pour assurer l’occupation et la vitalité des territoires, dont deux des principaux objectifs sont d’agir pour mieux habiter nos territoires et d’agir pour vivre de nos territoires.

Évidemment, l’avenir des régions à caractère rural du Québec est en partie lié aux décisions que prennent les jeunes originaires des milieux ruraux. Partir pour aller étudier, pour vivre dans un nouveau milieu ou encore pour découvrir le monde fait partie des grandes décisions dans la vie d’un jeune adulte. Cependant, avec le temps, ces décisions et la réalité engendrée pèsent lourd sur la viabilité sociale et économique des milieux de vie.

Encore aujourd’hui, le retour des jeunes ruraux dans leur milieu d’origine constitue un scénario de choix pour plusieurs communautés. Cependant, il demeure que, pour des raisons sociales, économiques, financières, etc., la pérennité de celles-ci ne peut s’appuyer essentiellement sur cette avenue.

L’avenir de la ruralité québécoise (30 % du PIB du Québec) appelle à un effort de créativité, notamment dans l’aménagement du territoire et dans l’organisation du « vivre ensemble ». Mais aussi et surtout dans l’ouverture à une transformation du portrait de la grande famille rurale par l’accueil et par l’intégration d’une immigration volontaire. Cela dit, il apparaît que cette manne sociodémographique amène son lot de défis complexes et de solutions contradictoires.

Le Canada et, parallèlement, le Québec sont deux des très rares États qui sélectionnent leurs immigrants. Dans un contexte mondial de concurrence pour l’attraction des talents, les immigrants qui se présentent à nos portes doivent être considérés comme des ressources de grande valeur. Les immigrants sélectionnés par le Québec pour leur profil de compétences et pour leur expertise ont donc des attentes, pour l’essentiel, très légitimes quant à leur intégration socioéconomique et à la concrétisation de leur désir de contribuer à leur société d’accueil. Ainsi, la migration devient de plus en plus l’incarnation d’un projet de vie et d’une stratégie d’ascension sociale basée sur le cumul d’un capital mobilitaire, et, de moins en moins, sur une fatalité.

Qualifiés, débrouillards et entreprenants, ils sont arrivés récemment ou sont de deuxième, voire de troisième génération et en quête d’un emploi qualifié.

Deux caractéristiques du profil de l’immigration au Québec attirent notre attention. La première est que 79,2 % des personnes issues de l’immigration déclarent connaître le français[1]. Chez les jeunes travailleurs qualifiés admis en 2013, 72,3 % d’entre eux déclarent connaître le français. Cela constitue un critère essentiel lorsque le projet de migration d’une région métropolitaine vers une région à caractère rural québécoise est envisagé. L’autre caractéristique, donnée particulièrement intéressante pour les employeurs québécois qui sont en démarche d’internationalisation, est le taux de bilinguisme des immigrants au Québec : 57,5 %. Ce taux est de 15 % supérieur à celui des jeunes québécois d’origine. À notre avis, il s’agit d’une ressource à ne pas négliger. Bien au contraire, car, à en croire les démographes, à partir de 2015, les immigrants représenteront la totalité de la croissance de la population active, devenant ainsi des acteurs majeurs pour l’ensemble du développement socioéconomique.

Ainsi, une saine planification et la synchronisation des interventions sur le plan de la promotion, de la sélection et, surtout, de l’intégration des immigrants apporteront leur lot d’avantages pour tous, de la communauté d’accueil en passant par les employeurs, l’immigrant lui-même, sa famille jusqu’à son pays d’origine (351 milliards de dollars en transferts de fonds en 2001 par rapport à 107 milliards de dollars en aide publique au développement international à l’échelle mondiale).

Pourtant, les candidats issus de l’immigration, notamment les nouveaux arrivants sélectionnés par le Québec, ont certaines difficultés à trouver un emploi à Montréal. Malgré leur bonne volonté, les immigrants font face à un taux de chômage qui demeure gonflé à près du double de celui des Québécois d’origine, soit 11,5 % contre 7 %.

Devant ce défi d’intégration socioéconomique, ceux-ci rivaliseront d’ingéniosité et adopteront différentes stratégies pour atteindre leur objectif et pour favoriser leur intégration à la société québécoise. La migration en région est, depuis 2008, une stratégie de plus en plus utilisée. D’autres stratégies, dont la déqualification temporaire dans le but spécifique d’acquérir l’expérience québécoise tant demandée par les employeurs ou une réorientation par un retour aux études, doivent, à notre avis, interpeller tous les acteurs en employabilité afin que ces stratégies d’intégration ne se traduisent pas en perte de capital de compétences. La recherche de stages, par exemple par le biais du programme Interconnexion, et l’optimisation des réseaux sociaux viendront compléter l’arsenal du jeune immigrant.

Cela dit, alors que l’immigration pourrait améliorer considérablement le niveau d’occupation et de vitalité des régions à caractère rural, il en est tout autrement. En effet, près de 80 % des quelque 50 000 nouveaux arrivants, dont près de 70 % ont moins de 35 ans[2], s’établissent chaque année dans la grande région métropolitaine de Montréal, comparativement à un très mince 1,9 % dans les 7 régions ressources du Québec. Ainsi, à peine 943 des 49 489 nouveaux immigrants en 2009 projetaient de s’établir dans l’une ou l’autre des 7 régions ressources du Québec. En contrepartie, et à elles seules, les îles de Montréal et de Laval attiraient 38 414 immigrants. Les statistiques récentes démontrent que les initiatives de régionalisation de l’immigration telles qu’elles sont appliquées peinent à renverser la métropolisation de l’immigration.


Immigrants admis de 2001 à 2010
Présents en 2012
Immigrants admis de 2003 à 2012
Présents en 2014
Taux de présence 75,9 %
Taux de présence 75,7 %
Résidents de la RMM[3] 75,2 %
Résidents de la RMM 74,9 %
Résidents de la CMM[4] 80,7 %
Résidents de la CMM 80,8 %
Sources : Résultats de l’enquête auprès des immigrants de la catégorie des travailleurs qualifiés (ETQ) – 2013

L’intégration économique des immigrants plus rapide dans les plus petites régions

Selon une étude de 2008 de Statistique Canada, il en ressort que l’intégration des immigrants habitant dans les petites régions moins urbanisées est meilleure que dans les grands centres, et cet avantage s’accentue au fil des ans. L’étude définit l’intégration économique selon deux aspects : l’écart initial de revenu au moment de l’établissement entre les immigrants et les Canadiens, puis la vitesse de convergence ou le rattrapage subséquent à mesure que les années passent.

Dans les très grandes régions urbaines, précise cette étude, l’écart initial de revenu est de 37 %. Après quatre ans, il est de 22 %, et il faut attendre la douzième année pour qu’il tombe sous le seuil de 10 %. En revanche, dans les petites régions urbaines, l’écart initial n’est que de 14 % et, dès la quatrième année, les immigrants gagnent 2 % de plus que les Canadiens. L’avantage relatif des immigrants continue d’augmenter au cours des années pour atteindre un sommet de 18 % à la onzième année[5]. Ainsi, bien que les immigrants aient un revenu plus faible dans tous les types de régions, l’écart se rétrécit à mesure qu’on se déplace le long du gradient d’urbain à rural.

En y regardant de plus près, on constate qu’il devient évident qu’une meilleure intégration des immigrants au Québec, notamment par l’amélioration du processus de régionalisation, servirait plusieurs causes. Celle de l’immigrant d’abord, celle de la communauté et, certainement, celle de l’économie du Québec, car une meilleure intégration des immigrants amènerait une augmentation du PIB de 2,1 %. S’il est devenu incontournable de rétablir la santé financière du Québec pour assurer une certaine équité intergénérationnelle, il y a certes la rationalisation des dépenses, mais aussi – et surtout – la rentabilisation des actifs. Comme le mentionnais le  ministre délégué aux Petites et Moyennes Entreprises, à l’Allègement réglementaire et au Développement économique régional, monsieur Jean-Denis Girard, il n’y a pas que la colonne des dépenses à scruter : il y a aussi la colonne des revenus à gonfler.

Accueil

Chronique du 2 mai 2014 au Midi-Actualités avec Jean-Philippe Trottier. La discussion touchait la question de l'immigration et son importance pour les régions.



[3]
RMM : La Région métropolitaine de Montréal regroupe les régions administratives de Montréal et de Laval ainsi que l’agglomération de Longueuil.

[4] CMM : La Communauté métropolitaine de Montréal inclut 82 municipalités.

[5] André Bernard, « Les immigrants dans les régions », Perspective, Statistique Canada, janvier 2008, p. 8, www.statcan.gc.ca/pub/75-001-x/2008101/pdf/10505-fra.pdf.