dimanche 7 décembre 2014

Billet sur l'éducation et les régions

« La continuité biologique de l’humanité est assurée par le mécanisme de la procréation.
Sa continuité culturelle ne l’est que par le système éducatif »

 « Le rôle de l’école est d’intégrer un petit homme dans la communauté humaine,
de transformer un individu en personne.
Répétons-le : c’est e-ducere, c’est conduire un jeune hors de lui-même,
le faire exister dans les échanges qu’il vit avec les autres.»





Au chapitre des bons coups que nous avons réalisés au Québec, et je suis de ceux qui pensent qu’il y en a eu quelques-uns, l’accès universel à l’éducation de la maternelle à l’université trône définitivement en tête de liste. Selon certains spécialistes, le Québec ferait même figure de précurseur voire de leader en la matière à l’échelle mondiale ce qui expliquerait, entre autres, le fait que le Québec obtient les meilleurs taux de diplomation postsecondaire en Amérique du Nord.

L’éducation (la connaissance) est le plus beau cadeau qu’un individu, une communauté, un pays peuvent se faire. Celle-ci orientera évidemment le cheminement professionnel de l’individu, mais au-delà de cela, l’éducation permettra à celui-ci de se doter d’un certain jugement critique, d’adopter de saines habitudes de vie, de poser un regard et de développer une pensée plus holistique du devenir collectif, etc. C'est pourquoi les importantes réformes à prévoir dans le secteur de l’éducation ne peuvent être assimilées à un simple exercice comptable, aussi pertinent soit-il[1][2]. Celles-ci auront nécessairement un impact sur le devenir d’une génération de jeunes Québécois, certes, mes aussi sur les savoirs faire et être collectifs. [3]

Bien entendu, il y a plusieurs façons de s’offrir un cadeau. La présentation ainsi que l’emballage peuvent varier du papier journal au papier ciré. Il demeure tout de même important d’être responsable en la matière et d’éviter que les débats deviennent idéologiques, car les citoyens méritent mieux, pas plus, mieux. Cela dit, là n’est certainement pas la question. Le point est davantage de comprendre que l’éducation est, au-delà d’un processus d’apprentissage ou d’un service public, une valeur intimement liée à la notion de développement, de progrès et jusqu’à un certain point d’enrichissement. Mais, plus important encore, c’est une question d’équité des chances de développement des individus et collectivités.

Il s’agit donc d’une question qui, au moins depuis 2012, devrait interpeller chaque citoyen, car elle touche le devenir collectif. Eh bien non! Si, dans la plupart des régions, les réformes du milieu de l’éducation, qu’elles touchent les niveaux primaire, secondaire, collégial ou universitaire, trouvent écho du côté des élus locaux et de quelques leaders d’opinion, on entend très peu la société civile ainsi que les milieux des affaires ou de la culture se questionner ou à tout le moins s’intéresser au dossier. Certains pourraient être intéressés de se demander quelle valeur on accorde à l’éducation en région?

C’est là que le sujet devient intéressant quant il s’agit de réfléchir à l’éducation en région. J’exagère à peine, pour l’avoir vécu, en disant que pour certains, être titulaire d’un diplôme d’études collégiales ou d’un grade universitaire est équivalent à devenir criminel en ce sens que le précieux symbole discrédite, rend suspect. S’éduquer ou plutôt trop s’éduquer représente une perte de temps, d’énergie et d’argent pour encore beaucoup trop de personnes en région. C’est alors que l’on entend ce genre de paroles «regarde-moi, j’ai seulement ma neuvième année et cela ne m’a pas empêché de bien gagner ma vie» ou pis encore « il ne faut pas trop valoriser l’éducation, car ça va faire augmenter les salaires dans les usines ». On est loin de la tête bien faite. 

Pour d’autres, comme dans la municipalité de Lac-Édouard, il s’agit d’un investissement essentiel pour affronter ce monde de plus en plus complexe et compétitif. Certains pourront assimiler cette dualité à un combat entre une vision romantique ou passéiste et une vision d’avenir et positive des régions.[4]

Bien que la vision favorable à l’éducation gagne assurément du terrain, il demeure que les deux points de vue se côtoient encore aujourd’hui. Est-ce seulement là une zone de friction intergénérationnelle? Peut-être qu’en partie il s’agit d’un débat entre une génération d’Hommes qui se sentent responsables de mettre du pain sur la table et une autre qui veut aller sur la lune! Mais cela n’expliquerait pas pourquoi plusieurs jeunes pensent encore de cette façon aujourd’hui! Parallèlement, beaucoup de jeunes ruraux ont quitté leur milieu pour s’instruire et, comme plusieurs, ne sont pas revenus en région parce qu’ostracisés, mais pire encore, ils ont coupé les liens avec leur milieu entretenant aujourd’hui une forme de ressentiment.

J’ai déjà affirmé que les ruraux sont généralement des pragmatiques, avec une conception d’un temps cyclique. Ce faisant, peut-être qu’au bout du compte ces jeunes ne voient aucun avantage à se questionner sur le sexe des anges. Peut-être que la nature n’a pas à être comprise, mais plutôt être contemplée, servie ou harnachée.

Cela dit, aujourd'hui, le débat sur l’importance de l’éducation est devenu davantage un débat sur la fonction. Évidemment, on ne remet plus en question l’importance de bien lire et écrire même si le niveau de sous-scolarisation ou d’analphabètes demeure très haut[5].

Le Nord-du-Québec (46,8 %) et l’AbitibiTémiscamingue
(35,3 %) sont les deux régions où la
proportion de la population de 15 ans et plus n’ayant aucun
diplôme est la plus élevée. À l’autre bout du spectre, cette
proportion est la plus basse dans les régions où se situent
les deux principales agglomérations urbaines de la province
– 19,1% dans la région de la Capitale-Nationale (03)
et 21,5% dans celle de Montréal (06).

Dans les faits, les ruraux demeurent des pragmatiques. Ce qui compte c’est le rôle concret qu’un individu joue dans la collectivité. Si Paul est soudeur, que Marc est comptable ou que Louise est ingénieure, on comprend en quoi ils contribuent. Disons que c’est plus difficile pour quelqu’un qui vient de compléter un DEC en Art et lettres ou en philosophie.

Comportement relevant d’un triste archaïsme clanique. Pas d’un point de vue sociologique en tout cas. Évidemment, il s’agit là d’une attitude qui peu être lourde de conséquences, mais en même temps, d’un point de vue anthropologique, il y a là quelque chose de beau, de grand. Comprenons que de ce point de vue, les gens comptent sur la personne, lui attribuent une fonction, une valeur positive dans la communauté. Dans les grands centres urbains, j’ai l’impression que le vivre et laisser vivre a fait place à un désintéressement de la valeur de l’individu dans le groupe.

Ceci dit, en région, l’homogénéité du groupe amène-t-elle à penser que ce que la personne a à savoir, à questionner, se limite aux frontières de la communauté? Ce qui est et demeure un grand avantage en région c’est-à-dire la simplicité de la vie qui y est vécue deviendrait-elle une limite à l’épanouissement intellectuel?

Historiquement, les lieux de diffusion intellectuelle, de savoir scientifique et de culture étaient des lieux de passage, de grands centres cosmopolites, des ports, etc. Mais cette culture, c’est savoirs, ces identités devaient émerger de foyers de sens qui eux n’étaient pas l’apanage exclusif des grands centres. Y a-t-il là l'ébauche d’une explication des fonctions ou des complémentarités entre les milieux urbains, lieux de convergences et de diffusion des savoirs, et les milieux ruraux, environnement fertile favorisant l’émergence de savoirs et d'expériences spécifiques. Peut-être, possible, mais attention aux raccourcis intellectuels.

Mais un autre élément me semble signifiant. Peu importe dans quel camp ils se situent, les ruraux aiment, adorent leur coin de pays, leur mode de vie, l’esprit du lieu. L’éducation, avec ces préceptes qui viennent le plus souvent d’un ailleurs suspect est-elle une menace à cette relation viscérale et rassurante? La réponse que je me suis bâtie avec le temps est non, mais cela demeure ma réponse, aujourd’hui.
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Ma chronique du 1 décembre à l'émission Question d'actualité avec Jean-Philippe Trottier sur 91,3 FM.