« La
continuité biologique de l’humanité est assurée par le mécanisme de la
procréation.
Sa
continuité culturelle ne l’est que par le système éducatif »
« Le rôle de l’école est d’intégrer un
petit homme dans la communauté humaine,
de
transformer un individu en personne.
Répétons-le :
c’est e-ducere, c’est conduire un jeune hors de lui-même,
le faire
exister dans les échanges qu’il vit avec les autres.»
Au chapitre des bons
coups que nous avons réalisés au Québec, et je suis de ceux qui pensent qu’il y
en a eu quelques-uns, l’accès universel à l’éducation de la maternelle à
l’université trône définitivement en tête de liste. Selon certains
spécialistes, le Québec ferait même figure de précurseur voire de leader en la
matière à l’échelle mondiale ce qui expliquerait, entre autres, le fait que le
Québec obtient les meilleurs taux de diplomation postsecondaire en Amérique du Nord.
L’éducation (la
connaissance) est le plus beau cadeau qu’un individu, une communauté, un pays
peuvent se faire. Celle-ci orientera évidemment le cheminement professionnel de
l’individu, mais au-delà de cela, l’éducation permettra à celui-ci de se doter
d’un certain jugement critique, d’adopter de saines habitudes de vie, de poser
un regard et de développer une pensée plus holistique du devenir collectif,
etc. C'est pourquoi les importantes réformes à prévoir dans le secteur de
l’éducation ne peuvent être assimilées à un simple exercice comptable, aussi
pertinent soit-il[1][2].
Celles-ci auront nécessairement un impact sur le devenir d’une génération de
jeunes Québécois, certes, mes aussi sur les savoirs faire et être collectifs. [3]
Bien entendu, il y a
plusieurs façons de s’offrir un cadeau. La présentation ainsi que l’emballage
peuvent varier du papier journal au papier ciré. Il demeure tout de même
important d’être responsable en la matière et d’éviter que les débats deviennent
idéologiques, car les citoyens méritent mieux, pas plus, mieux. Cela dit, là
n’est certainement pas la question. Le point est davantage de comprendre que l’éducation
est, au-delà d’un processus d’apprentissage ou d’un service public, une valeur intimement
liée à la notion de développement, de progrès et jusqu’à un certain point
d’enrichissement. Mais, plus important encore, c’est une question d’équité des
chances de développement des individus et collectivités.
Il s’agit donc d’une
question qui, au moins depuis 2012, devrait interpeller chaque citoyen, car
elle touche le devenir collectif. Eh bien non! Si, dans la plupart des régions,
les réformes du milieu de l’éducation, qu’elles touchent les niveaux primaire,
secondaire, collégial ou universitaire, trouvent écho du côté des élus locaux
et de quelques leaders d’opinion, on entend très peu la société civile ainsi
que les milieux des affaires ou de la culture se questionner ou à tout le moins
s’intéresser au dossier. Certains pourraient être intéressés de se demander
quelle valeur on accorde à l’éducation en région?
C’est là que le
sujet devient intéressant quant il s’agit de réfléchir à l’éducation en région.
J’exagère à peine, pour l’avoir vécu, en disant que pour certains, être titulaire
d’un diplôme d’études collégiales ou d’un grade universitaire est équivalent à
devenir criminel en ce sens que le précieux symbole discrédite, rend suspect. S’éduquer
ou plutôt trop s’éduquer représente une perte de temps, d’énergie et d’argent pour
encore beaucoup trop de personnes en région. C’est alors que l’on entend ce
genre de paroles «regarde-moi, j’ai seulement ma neuvième année et cela ne m’a
pas empêché de bien gagner ma vie» ou pis encore « il ne faut pas trop
valoriser l’éducation, car ça va faire augmenter les salaires dans les
usines ». On est loin de la tête bien faite.
Pour d’autres, comme
dans la municipalité de Lac-Édouard, il s’agit d’un investissement essentiel
pour affronter ce monde de plus en plus complexe et compétitif. Certains pourront
assimiler cette dualité à un combat entre une vision romantique ou passéiste et
une vision d’avenir et positive des régions.[4]
Bien que la vision
favorable à l’éducation gagne assurément du terrain, il demeure que les deux
points de vue se côtoient encore aujourd’hui. Est-ce seulement là une zone de
friction intergénérationnelle? Peut-être qu’en partie il s’agit d’un débat
entre une génération d’Hommes qui se sentent responsables de mettre du pain sur
la table et une autre qui veut aller sur la lune! Mais cela n’expliquerait pas
pourquoi plusieurs jeunes pensent encore de cette façon aujourd’hui!
Parallèlement, beaucoup de jeunes ruraux ont quitté leur milieu pour
s’instruire et, comme plusieurs, ne sont pas revenus en région parce qu’ostracisés,
mais pire encore, ils ont coupé les liens avec leur milieu entretenant
aujourd’hui une forme de ressentiment.
J’ai déjà affirmé
que les ruraux sont généralement des pragmatiques, avec une conception d’un
temps cyclique. Ce faisant, peut-être qu’au bout du compte ces jeunes ne voient
aucun avantage à se questionner sur le sexe des anges. Peut-être que la nature
n’a pas à être comprise, mais plutôt être contemplée, servie ou harnachée.
Cela dit, aujourd'hui, le débat sur l’importance
de l’éducation est devenu davantage un débat sur la fonction. Évidemment, on ne
remet plus en question l’importance de bien lire et écrire même si le niveau de
sous-scolarisation ou d’analphabètes demeure très haut[5].
Le Nord-du-Québec (46,8 %) et l’AbitibiTémiscamingue
(35,3 %) sont les deux régions où la
proportion de la population de 15 ans
et plus n’ayant aucun
diplôme est la plus élevée. À l’autre
bout du spectre, cette
proportion est la plus basse dans les
régions où se situent
les deux principales agglomérations
urbaines de la province
– 19,1% dans la région de la
Capitale-Nationale (03)
et 21,5% dans celle de Montréal (06).
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Dans
les faits, les ruraux demeurent des pragmatiques. Ce qui compte c’est le rôle
concret qu’un individu joue dans la collectivité. Si Paul est soudeur, que Marc
est comptable ou que Louise est ingénieure, on comprend en quoi ils contribuent.
Disons que c’est plus difficile pour quelqu’un qui vient de compléter un DEC en
Art et lettres ou en philosophie.
Comportement
relevant d’un triste archaïsme clanique. Pas d’un point de vue sociologique en
tout cas. Évidemment, il s’agit là d’une attitude qui peu être lourde de conséquences,
mais en même temps, d’un point de vue anthropologique, il y a là quelque chose
de beau, de grand. Comprenons que de ce point de vue, les gens comptent sur la
personne, lui attribuent une fonction, une valeur positive dans la communauté.
Dans les grands centres urbains, j’ai l’impression que le vivre et laisser vivre a fait place à un désintéressement de la
valeur de l’individu dans le groupe.
Ceci dit, en région, l’homogénéité
du groupe amène-t-elle à penser que ce que la personne a à savoir, à
questionner, se limite aux frontières de la communauté? Ce qui est et demeure
un grand avantage en région c’est-à-dire la simplicité de la vie qui y est vécue
deviendrait-elle une limite à l’épanouissement intellectuel?
Historiquement, les
lieux de diffusion intellectuelle, de savoir scientifique et de culture étaient
des lieux de passage, de grands centres cosmopolites, des ports, etc. Mais
cette culture, c’est savoirs, ces identités devaient émerger de foyers de sens
qui eux n’étaient pas l’apanage exclusif des grands centres. Y a-t-il là l'ébauche d’une explication
des fonctions ou des complémentarités entre les milieux urbains, lieux de
convergences et de diffusion des savoirs, et les milieux ruraux, environnement
fertile favorisant l’émergence de savoirs et d'expériences spécifiques. Peut-être, possible, mais attention aux raccourcis intellectuels.
Ma chronique du 1 décembre à l'émission Question d'actualité avec Jean-Philippe Trottier sur 91,3 FM.