jeudi 8 mai 2014

Billet sur l’importance de l’immigration en région

Billet sur l’importance de l’immigration en région

Le renversement de la pyramide démographique est l’un des enjeux – sinon le plus grand – auxquels fera face l’ensemble des nations et des états occidentaux. Le Québec ne fait pas exception : il se dirige même plus rapidement que les autres vers un inquiétant déséquilibre sociodémographique, les régions à caractère rural en tête. C’est pourquoi, selon plusieurs experts, la mobilité internationale et interrégionale des personnes est devenue un indicateur de santé socioéconomique et un important facteur de développement. Il n’est donc pas étonnant de constater que le développement démographique et la question de l’attractivité des territoires soient devenus une priorité pour la majorité des régions du Québec. C’est dans cet esprit que l’Assemblée nationale a adopté, le 5 avril 2012, une loi-cadre pour assurer l’occupation et la vitalité des territoires, dont deux des principaux objectifs sont d’agir pour mieux habiter nos territoires et d’agir pour vivre de nos territoires.

Évidemment, l’avenir des régions à caractère rural du Québec est en partie lié aux décisions que prennent les jeunes originaires des milieux ruraux. Partir pour aller étudier, pour vivre dans un nouveau milieu ou encore pour découvrir le monde fait partie des grandes décisions dans la vie d’un jeune adulte. Cependant, avec le temps, ces décisions et la réalité engendrée pèsent lourd sur la viabilité sociale et économique des milieux de vie.

Encore aujourd’hui, le retour des jeunes ruraux dans leur milieu d’origine constitue un scénario de choix pour plusieurs communautés. Cependant, il demeure que, pour des raisons sociales, économiques, financières, etc., la pérennité de celles-ci ne peut s’appuyer essentiellement sur cette avenue.

L’avenir de la ruralité québécoise (30 % du PIB du Québec) appelle à un effort de créativité, notamment dans l’aménagement du territoire et dans l’organisation du « vivre ensemble ». Mais aussi et surtout dans l’ouverture à une transformation du portrait de la grande famille rurale par l’accueil et par l’intégration d’une immigration volontaire. Cela dit, il apparaît que cette manne sociodémographique amène son lot de défis complexes et de solutions contradictoires.

Le Canada et, parallèlement, le Québec sont deux des très rares États qui sélectionnent leurs immigrants. Dans un contexte mondial de concurrence pour l’attraction des talents, les immigrants qui se présentent à nos portes doivent être considérés comme des ressources de grande valeur. Les immigrants sélectionnés par le Québec pour leur profil de compétences et pour leur expertise ont donc des attentes, pour l’essentiel, très légitimes quant à leur intégration socioéconomique et à la concrétisation de leur désir de contribuer à leur société d’accueil. Ainsi, la migration devient de plus en plus l’incarnation d’un projet de vie et d’une stratégie d’ascension sociale basée sur le cumul d’un capital mobilitaire, et, de moins en moins, sur une fatalité.

Qualifiés, débrouillards et entreprenants, ils sont arrivés récemment ou sont de deuxième, voire de troisième génération et en quête d’un emploi qualifié.

Deux caractéristiques du profil de l’immigration au Québec attirent notre attention. La première est que 79,2 % des personnes issues de l’immigration déclarent connaître le français[1]. Chez les jeunes travailleurs qualifiés admis en 2013, 72,3 % d’entre eux déclarent connaître le français. Cela constitue un critère essentiel lorsque le projet de migration d’une région métropolitaine vers une région à caractère rural québécoise est envisagé. L’autre caractéristique, donnée particulièrement intéressante pour les employeurs québécois qui sont en démarche d’internationalisation, est le taux de bilinguisme des immigrants au Québec : 57,5 %. Ce taux est de 15 % supérieur à celui des jeunes québécois d’origine. À notre avis, il s’agit d’une ressource à ne pas négliger. Bien au contraire, car, à en croire les démographes, à partir de 2015, les immigrants représenteront la totalité de la croissance de la population active, devenant ainsi des acteurs majeurs pour l’ensemble du développement socioéconomique.

Ainsi, une saine planification et la synchronisation des interventions sur le plan de la promotion, de la sélection et, surtout, de l’intégration des immigrants apporteront leur lot d’avantages pour tous, de la communauté d’accueil en passant par les employeurs, l’immigrant lui-même, sa famille jusqu’à son pays d’origine (351 milliards de dollars en transferts de fonds en 2001 par rapport à 107 milliards de dollars en aide publique au développement international à l’échelle mondiale).

Pourtant, les candidats issus de l’immigration, notamment les nouveaux arrivants sélectionnés par le Québec, ont certaines difficultés à trouver un emploi à Montréal. Malgré leur bonne volonté, les immigrants font face à un taux de chômage qui demeure gonflé à près du double de celui des Québécois d’origine, soit 11,5 % contre 7 %.

Devant ce défi d’intégration socioéconomique, ceux-ci rivaliseront d’ingéniosité et adopteront différentes stratégies pour atteindre leur objectif et pour favoriser leur intégration à la société québécoise. La migration en région est, depuis 2008, une stratégie de plus en plus utilisée. D’autres stratégies, dont la déqualification temporaire dans le but spécifique d’acquérir l’expérience québécoise tant demandée par les employeurs ou une réorientation par un retour aux études, doivent, à notre avis, interpeller tous les acteurs en employabilité afin que ces stratégies d’intégration ne se traduisent pas en perte de capital de compétences. La recherche de stages, par exemple par le biais du programme Interconnexion, et l’optimisation des réseaux sociaux viendront compléter l’arsenal du jeune immigrant.

Cela dit, alors que l’immigration pourrait améliorer considérablement le niveau d’occupation et de vitalité des régions à caractère rural, il en est tout autrement. En effet, près de 80 % des quelque 50 000 nouveaux arrivants, dont près de 70 % ont moins de 35 ans[2], s’établissent chaque année dans la grande région métropolitaine de Montréal, comparativement à un très mince 1,9 % dans les 7 régions ressources du Québec. Ainsi, à peine 943 des 49 489 nouveaux immigrants en 2009 projetaient de s’établir dans l’une ou l’autre des 7 régions ressources du Québec. En contrepartie, et à elles seules, les îles de Montréal et de Laval attiraient 38 414 immigrants. Les statistiques récentes démontrent que les initiatives de régionalisation de l’immigration telles qu’elles sont appliquées peinent à renverser la métropolisation de l’immigration.


Immigrants admis de 2001 à 2010
Présents en 2012
Immigrants admis de 2003 à 2012
Présents en 2014
Taux de présence 75,9 %
Taux de présence 75,7 %
Résidents de la RMM[3] 75,2 %
Résidents de la RMM 74,9 %
Résidents de la CMM[4] 80,7 %
Résidents de la CMM 80,8 %
Sources : Résultats de l’enquête auprès des immigrants de la catégorie des travailleurs qualifiés (ETQ) – 2013

L’intégration économique des immigrants plus rapide dans les plus petites régions

Selon une étude de 2008 de Statistique Canada, il en ressort que l’intégration des immigrants habitant dans les petites régions moins urbanisées est meilleure que dans les grands centres, et cet avantage s’accentue au fil des ans. L’étude définit l’intégration économique selon deux aspects : l’écart initial de revenu au moment de l’établissement entre les immigrants et les Canadiens, puis la vitesse de convergence ou le rattrapage subséquent à mesure que les années passent.

Dans les très grandes régions urbaines, précise cette étude, l’écart initial de revenu est de 37 %. Après quatre ans, il est de 22 %, et il faut attendre la douzième année pour qu’il tombe sous le seuil de 10 %. En revanche, dans les petites régions urbaines, l’écart initial n’est que de 14 % et, dès la quatrième année, les immigrants gagnent 2 % de plus que les Canadiens. L’avantage relatif des immigrants continue d’augmenter au cours des années pour atteindre un sommet de 18 % à la onzième année[5]. Ainsi, bien que les immigrants aient un revenu plus faible dans tous les types de régions, l’écart se rétrécit à mesure qu’on se déplace le long du gradient d’urbain à rural.

En y regardant de plus près, on constate qu’il devient évident qu’une meilleure intégration des immigrants au Québec, notamment par l’amélioration du processus de régionalisation, servirait plusieurs causes. Celle de l’immigrant d’abord, celle de la communauté et, certainement, celle de l’économie du Québec, car une meilleure intégration des immigrants amènerait une augmentation du PIB de 2,1 %. S’il est devenu incontournable de rétablir la santé financière du Québec pour assurer une certaine équité intergénérationnelle, il y a certes la rationalisation des dépenses, mais aussi – et surtout – la rentabilisation des actifs. Comme le mentionnais le  ministre délégué aux Petites et Moyennes Entreprises, à l’Allègement réglementaire et au Développement économique régional, monsieur Jean-Denis Girard, il n’y a pas que la colonne des dépenses à scruter : il y a aussi la colonne des revenus à gonfler.

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Chronique du 2 mai 2014 au Midi-Actualités avec Jean-Philippe Trottier. La discussion touchait la question de l'immigration et son importance pour les régions.



[3]
RMM : La Région métropolitaine de Montréal regroupe les régions administratives de Montréal et de Laval ainsi que l’agglomération de Longueuil.

[4] CMM : La Communauté métropolitaine de Montréal inclut 82 municipalités.

[5] André Bernard, « Les immigrants dans les régions », Perspective, Statistique Canada, janvier 2008, p. 8, www.statcan.gc.ca/pub/75-001-x/2008101/pdf/10505-fra.pdf.