C’est grand le Québec, dit-on! Je
m’apprête à vivre l’une des expériences ultimes de l’étendue de notre
territoire. Après avoir parcouru la très grande majorité des coins du Québec
pour affaires, études ou pour le loisir, je m’embarque aujourd’hui pour les Îles-de-la-Madeleine!
Particulièrement excité, car selon la bibliothèque familiale, après cinq
générations, je suis le premier à retourner à l’endroit où se sont fixés mes
ancêtres au retour du « Grand dérangement ». Toutefois, c’est à titre
de développeur économique que ce cours voyage dans le golf du St-Laurent
m’enthousiasme le plus. (Mon entrevue sur les ondes de CFIM)
Oui c’est grand le Québec, plus
que la majorité d’entre nous (ruraux de la vallée du St-Laurent comme urbain)
peut l’imaginer. Et pour moi c’est clairement une richesse. De tout temps les
royaumes et autres états du monde ne se
sont-ils pas battus pour élargir leurs frontières à la recherche de ressources
naturelles, de nouvelles populations, de
marchés pour l’économie métropolitaine, etc.
Et nous, Québécois du 21e siècle avons hérité de tout cela;
un territoire vaste qui se conjugue en milliers de kilomètres.
En y repensant bien, avec l’état
des finances publiques et la pyramide démographique qui s’inverse, est-ce
devenu un problème? Au mieux un défi?
Mais quant est-il? Comment se
faire une tête sur la valeur de cet actif collectif? Il y a, bien entendu, le
fait que les secteurs agroalimentaire, de la forêt ou des mines sont des
moteurs de l’économie de l’ensemble du Québec, mais encore!
À mon sens, ces espaces
majestueux constituent à la base une partie, voire l’architecture ou l’ADN de
notre identité collective québécoise. D’abord, l’idée que tout autour de nous est
abondant, que la ressource est à portée de main nous a servis. Nous avons
cultivé la terre pour nous nourrir et pour bâtir nos maisons, nos villes, puis
les usines nécessaires à l’exploitation des ressources sont apparues et de là
l’expertise à la racine du Québec Inc. Mais
au-delà de la ressource, il y a ces distances vertigineuses qui ont concouru à bâtir la québécitude.
Pour beaucoup on se définit par
rapport à l’autre et quand l’autre est loin cela a une influence sur la façon
dont l’individu se définit. C’est la même réalité pour nos régions chez qui on
a découvert certains traits et une identité territoriale forte. Concrètement,
on retrouve cette réalité largement expliquée par le phénomène d’insularité.
Au-delà de la lettre il s’agit de l’isolement, pendant un temps plus ou moins
long, d’une communauté du reste de sa société d’appartenance au point où les
insulaires en viennent à développer une perception d’eux-mêmes fortement teintée
de leur relation de proximité avec l’environnement, par exemple.
Ainsi, au 18e et 19e
siècle, à une époque faite de temps longs, se sont développées la plupart de
nos régions et certainement celles dont l’identité s’affirme avec le plus de
vigueur. On imagine facilement l’épopée de nos amis Madelinots et Gaspésiens,
mais il y a aussi, celle des Beaucerons, des Sagamiens et plus récemment nos compatriotes
de l’Abitibi-Témiscamingue.
C’est voies de communication
établies, nos décideurs, nos intellectuels, nos artistes, nos jeunes et nos
entrepreneurs ont pu légitimement miser sur leur développement en puisant dans
les énergies de leurs racines, en sachant que le monde leur était accessible
sans pour autant se couper de leurs origines. Depuis, c’est autant de Dubuc, de
Bouchard, de Lemaire, de Leclerc, de Dutils, etc., qui ont contribué au
développement du Québec et à son rayonnement dans le monde. Il ne fait aucun
doute pour moi que ce que les régions ont dans l’âme c’est-à-dire une relation
à l’espace, au temps, au pouvoir, etc., contribue à rendre plus dynamique et
plus prospère l’ensemble du Québec.
Quand je retourne dans mes souvenirs, que je me
rappelle mon grand-père agriculteur et forestier toute sa vie ou quand je
pense à mon voisin toujours aussi actif sur ses terres à 80 ans et que je
fais le parallèle avec ma propre vie aujourd’hui, je comprends mieux l’idée
que l’espace et le temps n’ont pas la même signification en milieu rural et
en milieu urbain. Pour mon grand-père le temps était long et circulaire. Il
était rythmé par les saisons et l’idée que ce qui va mourir aujourd’hui
pourra renaitre demain. Au bout du compte, ce qui était important était qu’à
titre de seul maître de son environnement après Dieu, il avait la responsabilité
d’entretenir le cycle. Mes amis Madelinots disent eux qu’ils ne regardent pas
l’heure, ils regardent le temps.
À l’inverse pour ma part, j’ai l’impression que
chaque minute compte. Qu’une heure dans le trafic, sur lequel je n’ai aucun
contrôle, est une heure perdue à jamais. Que mon grand défi soit de gagner un
temps qui ne m’appartient pas, voir que je doive le dérober à quelqu’un
d’autre… Est-ce à cela que Sartre faisait référence quand il disait l’enfer c’est les autres?
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Faut-il donc s’inquiéter de la
diminution de l’accessibilité des services de transport[1] reliant les régions les plus excentrées aux
grands centres urbains? Ou du déploiement trop lent des communications Internet
à large bande par rapport à l’évolution rapide de la planète internet, la
nouvelle échelle de référence[2]?
Certainement! Collectivement on ne peut considérer qu’une partie du Québec soit
davantage ouverte sur le monde qu’une autre! Nous avons tous l’obligation de
nous comparer aux meilleurs...fussent-ils à l’autre bout du monde.
Par ailleurs, aujourd’hui plus
que jamais, on ne peut imaginer ou faire l’économie d’une région n’assumant pas
son plein potentiel au bénéfice de sa propre population d’abord, mais aussi
pour l’ensemble du Québec. Cependant, la situation économique suggère que nous
ne pouvons pas nous contenter de solutions faciles du genre tout au marché, tout
à l’État ou tout au citoyen. Généralement, ni l’un ni l’autre n’a les moyens
d’assumer seul le maintien des régions dans la chaîne de création de valeur.
L’heure est à la responsabilisation de tous en faisant preuve de ténacité et de
créativité; deux qualités dont les ruraux sont bien pourvus!