samedi 20 décembre 2014

Billet sur le rôle des régions dans le développement économique du QC


Les résultats d’une région dépendent donc, dans une large mesure,
de son aptitude à exploiter et à mobiliser ses actifs et ses ressources propres,
et cette aptitude détermine également dans quelle mesure
la région contribue aux résultats du pays.
(OCDE, 2011)

On entend fréquemment dire que Montréal est la locomotive de l’économie du Québec. Quelle belle analogie qui en plus d’être symboliquement vraie a le mérite de nous faire réfléchir sur la façon dont les Québécois assureront leur capacité à organiser leur quotidien et planifier leur avenir.
Pour poursuivre dans l’analogie, il convient de reconnaitre que la locomotive est la partie la plus design, la plus chromée, la plus visible, la plus photographiée et par conséquent la plus mise en valeur du train. Elle donne une direction, génère la puissance nécessaire au mouvement et à l’avancement du convoi. Est-ce donc dire qu’a sa suite, les wagons sont sans intérêt ou d’un intérêt très relatif?
Heureusement, au cours des dernières décennies, l’État québécois a adopté un certain nombre de mesures sensibles à la réalité des différentes régions de la province, Montréal et Québec incluses. Du côté des milieux ruraux, on a vu apparaitre des centaines, voire des milliers de grandes et petites initiatives visant la croissance ou plutôt le développement, terme plus approprié à la réalité rurale, des communautés.
Pour ma part, je demeure d’avis que la force et la richesse du Québec résident dans sa diversité et surtout dans le renforcement mutuel de ses composantes urbaines, périurbaines et rurales. D’autres sont toutefois d’avis qu’en soutenant principalement le développement de la métropole et, à la limite, celui de la capitale, le Québec tout entier s’en portera mieux et pourra tirer son épingle du jeu à l’échelle mondiale. Nul besoin de s’étendre ici sur les dangers de la pensée magique!
À l’instar du journal Les Affaires[1] et de plusieurs autres publications à caractère économique, il faut reconnaitre l’importance de Montréal dans l’économie du Québec. La plus récente étude de l’Institut du Québec en collaboration avec le Conference Board du Canada (CBC) démontre que la Métropole dépasse son poids démographique en termes d’investissements étrangers, de brevets, de recettes fiscales, etc. Dans les faits, avec 49 % de la population, Montréal génère 53 % de la richesse du Québec.
Plus, selon les calculs du CBC, Montréal aurait même de deuxième plus haut niveau de traction sur l’économie de sa province, au Canada. Les auteurs sont catégoriques, si Montréal s’enrichit c’est tout le Québec qui est plus riche.
Par ailleurs, considérant qu’à partir de 2015, l’essentiel de la croissance de la population active viendra de l’apport d’immigrants et que près de 80 % des nouveaux arrivants, autour de 40 000 personnes par année, choisissent de s’installer dans la Métropole, force est de reconnaitre que Montréal doit jouer un rôle particulier dans l’essor du Québec.
Mais on admet aussi dans l’étude dévoilée par l’Institut du Québec que Montréal sous performe, que la locomotive tourne au ralenti. Partant de là, il devient évident, pour certains, qu’il faut concentrer nos efforts sur le redressement de l’économie de Montréal afin de redonner une impulsion à l’économie du Québec, et ce, dans l’intérêt économique supérieur de la nation.
Cela dit, le projet du gouvernement québécois d’atteindre l’équilibre budgétaire, légitime et souhaitable, semble vouloir proposer l’idée d’un Québec homogène, uniforme ou unidimensionnel. Est-ce là l’illustration du noble principe d’égalité des citoyens et l’affirmation de la notion de responsabilité de chacun? Pourquoi favoriser une communauté plutôt qu’une autre? C’est le grand débat entre les tenants de politiques ou de décisions sectorialisées vs territorialisées. Cela dit, l’État affirme que tous doivent contribuer à l’effort collectif, à construire l’avenir du Québec!
Dans tous les cas, s’il s’agit bien de l’idéal d’égalité et de responsabilisation des individus ou des communautés, tous devront assumer qu’ils doivent devenir les artisans de leur propre bonheur en plus d’assumer volontairement une part de la coconstruction de l’avenir collectif. Étrangement, tout cela ressemble beaucoup à de l’entrepreneuriat… Disons collectif!
Dans les faits, l’État providence est mort depuis longtemps et ce qui l’avait remplacé, l’État subsidiaire, se transforme progressivement en État actionnaire. Pendant quelques décennies, l’État a assuré un certain leadership dans le développement des communautés rurales, mais aujourd’hui il souhaite revoir la forme et le fond de son engagement. Il souhaite avoir un retour sur investissement.
Ainsi, nos régions devront non seulement se serrer la ceinture, mais aussi se serrer les coudes, se regrouper et trouver en elles l’énergie pour assurer leur développement économique, mais aussi leur développement social, culturel, etc. Les leaders de nos régions devront repenser leur façon de faire et entreprendre eux-mêmes leur développement sans attendre le leadership de l’État. Heureusement, il y a dans l’ADN de plusieurs communautés rurales, cette culture, cette pulsion de survie, cette attitude can do héritée d’une autre époque et encore présente.
La tempête s’apaisera et, souhaitons que ce soit plus tôt que tard, le gouvernement trouvera son point d’équilibre. À ce moment, il pourra reprendre une certaine place autour de la table afin de participer à un développement viable qui profite à l’ensemble des parties prenantes en proposant des outils et des leviers aux leaders locaux.
Entre temps, les milieux ruraux doivent assumer seuls le maintien du dynamisme de leur communauté. Un dynamisme chèrement acquis ou devrais-je dire développé. Le défi principal sera de passer le relais à la nouvelle génération de leader et de citoyens sans les ressources du passé. L’électrochoc visant le redressement des finances publiques aura un effet prévisible sur la santé financière du Québec et c’est le grand objectif, sur l’équité intergénérationnelle, mais quel effet aura-t-il sur la population? Assisterons-nous à un désengagement des citoyens, des bénévoles, des intrapreneurs ou au réveil de la fibre entrepreneuriale des acteurs du développement régional et local.
La réponse sera, pour paraphraser le poète, asymétrique. Certaines régions ou communautés vont retourner la crise en opportunités ou en projets fédérateurs[2] et d'autres vont s’enliser, voir s’éteindre avec une peu de l’essence du Québec.
Que l’on s’entende ou pas sur l’étiquette à accoler à l’exercice de rationalisation en cour, la question demeure : est-ce que Montréal peut assumer seule la croissance et le développement socioéconomique du Québec. Poser la question c’est y répondre diront certains. Sans préciser pourquoi, n’y comment, l’étude dévoilée par l’institut du Québec affirme que les intérêts de Montréal et des régions ne s’opposent pas. Au contraire, ils convergeraient.
En effet, les régions et MRC à caractère rural sont des contributeurs essentiels au développement social et plus encore à la croissance de la productivité du Québec selon l’OCDE (2011) et le Centre sur la productivité et la prospérité des HEC (2014). Montréal et Québec n’ont pas et ne peuvent assumer seules le développement et la croissance du Québec. D’abord le développement car, par définition, le développement d’une communauté se fait avec ladite communauté. Montréal ne peut donc pas développer une région comme la Côte-Nord ou l’Abitibi-Témiscamingue. Elle ne peut que développer Montréal. Et la croissance, car, si la grande région métropolitaine génère la majorité du PIB québécois, c’est des régions que provient la croissance de la productivité et par le fait même les perspectives d’avenir.  
« S’il est vrai que les régions essentiellement urbaines enregistrent le plus souvent une productivité et un PIB par habitant plus élevés, elles ne bénéficient d’aucun avantage en termes de croissance. De fait, et contrairement à d’éventuels préjugés, les régions essentiellement rurales sont surreprésentées parmi celles qui connaissent la croissance la plus rapide. (OCDE, 2011)
Il ne fait plus aucun doute donc qu’une saine complémentarité des territoires est essentielle à l’avancement du Québec. Les régions doivent assumer leur part. Le Québec sera plus fort si chaque composante livre la marchandise.
Partout dans le monde, les grandes métropoles jouent un rôle fondamental non seulement au niveau de l’économie de leur pays, mais aussi dans le rayonnement de celui-ci, dans l’attraction de nouvelles populations, dans la fierté que peuvent tirer les citoyens de voir une fenêtre orientée vers le monde s’ouvrir sur leur culture, leur identité, leur raison d’être. Demandons-nous ce que seraient devenus Les Échassiers des Baie-St-Paul s’ils s’étaient contentés de faire des spectacles dans la région de Charlevoix?
Montréal est notre métropole, notre locomotive et nous devons nous sentir solidaires de sa situation, mais, pour reprendre ma question du début, est-ce à dire que les wagons sont sans réelle valeur? Certainement pas, car ils contiennent la ressource, la richesse du convoi. En fait, ils donnent du sens à la locomotive, une raison d’être, d’avancer. Clairement, les wagons n’iraient nulle part sans la locomotive. À l’inverse, sans wagons, la locomotive n’aurait rien à remorquer, elle perdrait tout son sens, la légitimité de l’énergie que l’on y consume. Cette métaphore ou plutôt l’enjeu qu’il y a derrière est vieux comme le monde et encore aujourd’hui on met trop souvent en opposition les grandes villes et les régions.
Peut-être pourrions-nous innover, faire différent des autres et nous intéresser à l’ensemble du train et non seulement à la locomotive.  
Le 25 décembre au matin, les enfants qui trouveront sous le sapin, emballée dans du papier lustré, par des parents aimants, une locomotive, aussi belle soit-elle, vont certainement être moins comblés que ceux qui déballeront un petit train complet.
Joyeux Noël.

dimanche 7 décembre 2014

Billet sur l'éducation et les régions

« La continuité biologique de l’humanité est assurée par le mécanisme de la procréation.
Sa continuité culturelle ne l’est que par le système éducatif »

 « Le rôle de l’école est d’intégrer un petit homme dans la communauté humaine,
de transformer un individu en personne.
Répétons-le : c’est e-ducere, c’est conduire un jeune hors de lui-même,
le faire exister dans les échanges qu’il vit avec les autres.»





Au chapitre des bons coups que nous avons réalisés au Québec, et je suis de ceux qui pensent qu’il y en a eu quelques-uns, l’accès universel à l’éducation de la maternelle à l’université trône définitivement en tête de liste. Selon certains spécialistes, le Québec ferait même figure de précurseur voire de leader en la matière à l’échelle mondiale ce qui expliquerait, entre autres, le fait que le Québec obtient les meilleurs taux de diplomation postsecondaire en Amérique du Nord.

L’éducation (la connaissance) est le plus beau cadeau qu’un individu, une communauté, un pays peuvent se faire. Celle-ci orientera évidemment le cheminement professionnel de l’individu, mais au-delà de cela, l’éducation permettra à celui-ci de se doter d’un certain jugement critique, d’adopter de saines habitudes de vie, de poser un regard et de développer une pensée plus holistique du devenir collectif, etc. C'est pourquoi les importantes réformes à prévoir dans le secteur de l’éducation ne peuvent être assimilées à un simple exercice comptable, aussi pertinent soit-il[1][2]. Celles-ci auront nécessairement un impact sur le devenir d’une génération de jeunes Québécois, certes, mes aussi sur les savoirs faire et être collectifs. [3]

Bien entendu, il y a plusieurs façons de s’offrir un cadeau. La présentation ainsi que l’emballage peuvent varier du papier journal au papier ciré. Il demeure tout de même important d’être responsable en la matière et d’éviter que les débats deviennent idéologiques, car les citoyens méritent mieux, pas plus, mieux. Cela dit, là n’est certainement pas la question. Le point est davantage de comprendre que l’éducation est, au-delà d’un processus d’apprentissage ou d’un service public, une valeur intimement liée à la notion de développement, de progrès et jusqu’à un certain point d’enrichissement. Mais, plus important encore, c’est une question d’équité des chances de développement des individus et collectivités.

Il s’agit donc d’une question qui, au moins depuis 2012, devrait interpeller chaque citoyen, car elle touche le devenir collectif. Eh bien non! Si, dans la plupart des régions, les réformes du milieu de l’éducation, qu’elles touchent les niveaux primaire, secondaire, collégial ou universitaire, trouvent écho du côté des élus locaux et de quelques leaders d’opinion, on entend très peu la société civile ainsi que les milieux des affaires ou de la culture se questionner ou à tout le moins s’intéresser au dossier. Certains pourraient être intéressés de se demander quelle valeur on accorde à l’éducation en région?

C’est là que le sujet devient intéressant quant il s’agit de réfléchir à l’éducation en région. J’exagère à peine, pour l’avoir vécu, en disant que pour certains, être titulaire d’un diplôme d’études collégiales ou d’un grade universitaire est équivalent à devenir criminel en ce sens que le précieux symbole discrédite, rend suspect. S’éduquer ou plutôt trop s’éduquer représente une perte de temps, d’énergie et d’argent pour encore beaucoup trop de personnes en région. C’est alors que l’on entend ce genre de paroles «regarde-moi, j’ai seulement ma neuvième année et cela ne m’a pas empêché de bien gagner ma vie» ou pis encore « il ne faut pas trop valoriser l’éducation, car ça va faire augmenter les salaires dans les usines ». On est loin de la tête bien faite. 

Pour d’autres, comme dans la municipalité de Lac-Édouard, il s’agit d’un investissement essentiel pour affronter ce monde de plus en plus complexe et compétitif. Certains pourront assimiler cette dualité à un combat entre une vision romantique ou passéiste et une vision d’avenir et positive des régions.[4]

Bien que la vision favorable à l’éducation gagne assurément du terrain, il demeure que les deux points de vue se côtoient encore aujourd’hui. Est-ce seulement là une zone de friction intergénérationnelle? Peut-être qu’en partie il s’agit d’un débat entre une génération d’Hommes qui se sentent responsables de mettre du pain sur la table et une autre qui veut aller sur la lune! Mais cela n’expliquerait pas pourquoi plusieurs jeunes pensent encore de cette façon aujourd’hui! Parallèlement, beaucoup de jeunes ruraux ont quitté leur milieu pour s’instruire et, comme plusieurs, ne sont pas revenus en région parce qu’ostracisés, mais pire encore, ils ont coupé les liens avec leur milieu entretenant aujourd’hui une forme de ressentiment.

J’ai déjà affirmé que les ruraux sont généralement des pragmatiques, avec une conception d’un temps cyclique. Ce faisant, peut-être qu’au bout du compte ces jeunes ne voient aucun avantage à se questionner sur le sexe des anges. Peut-être que la nature n’a pas à être comprise, mais plutôt être contemplée, servie ou harnachée.

Cela dit, aujourd'hui, le débat sur l’importance de l’éducation est devenu davantage un débat sur la fonction. Évidemment, on ne remet plus en question l’importance de bien lire et écrire même si le niveau de sous-scolarisation ou d’analphabètes demeure très haut[5].

Le Nord-du-Québec (46,8 %) et l’AbitibiTémiscamingue
(35,3 %) sont les deux régions où la
proportion de la population de 15 ans et plus n’ayant aucun
diplôme est la plus élevée. À l’autre bout du spectre, cette
proportion est la plus basse dans les régions où se situent
les deux principales agglomérations urbaines de la province
– 19,1% dans la région de la Capitale-Nationale (03)
et 21,5% dans celle de Montréal (06).

Dans les faits, les ruraux demeurent des pragmatiques. Ce qui compte c’est le rôle concret qu’un individu joue dans la collectivité. Si Paul est soudeur, que Marc est comptable ou que Louise est ingénieure, on comprend en quoi ils contribuent. Disons que c’est plus difficile pour quelqu’un qui vient de compléter un DEC en Art et lettres ou en philosophie.

Comportement relevant d’un triste archaïsme clanique. Pas d’un point de vue sociologique en tout cas. Évidemment, il s’agit là d’une attitude qui peu être lourde de conséquences, mais en même temps, d’un point de vue anthropologique, il y a là quelque chose de beau, de grand. Comprenons que de ce point de vue, les gens comptent sur la personne, lui attribuent une fonction, une valeur positive dans la communauté. Dans les grands centres urbains, j’ai l’impression que le vivre et laisser vivre a fait place à un désintéressement de la valeur de l’individu dans le groupe.

Ceci dit, en région, l’homogénéité du groupe amène-t-elle à penser que ce que la personne a à savoir, à questionner, se limite aux frontières de la communauté? Ce qui est et demeure un grand avantage en région c’est-à-dire la simplicité de la vie qui y est vécue deviendrait-elle une limite à l’épanouissement intellectuel?

Historiquement, les lieux de diffusion intellectuelle, de savoir scientifique et de culture étaient des lieux de passage, de grands centres cosmopolites, des ports, etc. Mais cette culture, c’est savoirs, ces identités devaient émerger de foyers de sens qui eux n’étaient pas l’apanage exclusif des grands centres. Y a-t-il là l'ébauche d’une explication des fonctions ou des complémentarités entre les milieux urbains, lieux de convergences et de diffusion des savoirs, et les milieux ruraux, environnement fertile favorisant l’émergence de savoirs et d'expériences spécifiques. Peut-être, possible, mais attention aux raccourcis intellectuels.

Mais un autre élément me semble signifiant. Peu importe dans quel camp ils se situent, les ruraux aiment, adorent leur coin de pays, leur mode de vie, l’esprit du lieu. L’éducation, avec ces préceptes qui viennent le plus souvent d’un ailleurs suspect est-elle une menace à cette relation viscérale et rassurante? La réponse que je me suis bâtie avec le temps est non, mais cela demeure ma réponse, aujourd’hui.
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Ma chronique du 1 décembre à l'émission Question d'actualité avec Jean-Philippe Trottier sur 91,3 FM.