samedi 13 juin 2015

Le bonheur est en région?

Réflexion sur le bonheur
« Si le plaisir nous est procuré par notre corps,
le bonheur, lui, est une harmonie de toute notre personne. »
« […] le bonheur, c’est de se sentir beau dans le regard des autres. »
Albert Jacquard


Selon Statistiques Canada, il semble que les gens les plus heureux résident en dehors des grands centres urbains. Pourtant, nous connaissons tous des urbains très heureux enfin, c’est ce qu’ils disent, et des ruraux malheureux. Quelle drôle de statistique, qui, il faudra s’y faire si l’on prend au pied de la lettre les recommandations de l’ONU, sera de plus en plus utilisée, et ce, même pour orienter les décisions des États. Mais existe-t-il une définition formelle, universelle, du bonheur?

La réponse est simple. Oui! Celle «des autorités», des dictionnaires (état de satisfaction, de plénitude) et autres sources de références. Mais posons la question à mille personnes et nous obtiendrons autant de réponses que d’individus sondés. Dans les faits, on ne peut véritablement que mesurer la perception qu’ont les gens de leur bonheur. Pour certains c’est un emploi gratifiant, pour d’autres de l’argent et pour plusieurs ce sont des enfants en santé, mais c’est souvent, voire toujours, quelque chose de complexe, de multidimensionnel. En réalité, ce qui est vraiment important c’est que les gens se disent heureux, peu importe pourquoi ils le sont.

Pourquoi les gens seraient-ils généralement plus heureux à l’extérieur des grands centres? Évidemment, c’est difficile à dire!

Peut-être que les grandes villes avec leurs innombrables possibilités, dans un monde axé sur l’individu, l’immédiat et la consommation, nous obligent à choisir. Fondamentalement, quand on fait un choix on renonce en même temps à quelque chose, et il va sans dire que renoncer à quoi que ce soit n’a rien d’amusant. Alors qu’en région, l’univers des possibles semble être moins étendu, moins vaste, mais il n’est certainement pas moins «profond», on prend ce que la vie a à nous offrir.

Ainsi en région, on peut difficilement attendre les autres pour obtenir ce que l’on désire. Si l’on veut vraiment quelque chose, il faut le bâtir, le faire pousser, l’entreprendre, car il y a peu de chances que ce besoin ressenti devienne un jour une opportunité d’affaires pour un entrepreneur classique; faute de masse critique. Et en ce sens, il y a bien davantage de gratification à construire quelque chose qu’à attendre que quelqu’un vienne combler ce besoin.
Ce faisant, on doit baser notre appréciation de la vie sur d’autres paramètres, ou à tout le moins, sur d’autres incarnations. De là, l’idée d’être satisfait (qui peut facilement déraper et devenir la mesure de notre conformité en lien avec des standards préfabriqués et habilement commercialisés) peut se transformer et devenir quelque chose qui tourne autour de l’idée d’être en phase avec soi-même et avec son environnement. Une situation qui n’est pas exclusive aux ruraux, loin de là.

Peut-être que le fait d’avoir moins de possibilités (en apparence du moins) ou de distractions et le fait d’être parfois plus proche de certaines constantes, permet de se sentir davantage comme partie prenante de quelque chose de plus grand que soi et donc de se sentir rassuré, confortable, voire heureux.

De tout temps, des individus ont fait le choix de vivre en ville afin de saisir des opportunités, d’obtenir un diplôme ou de se brancher sur un autre monde et c’est certainement bien ainsi. Mais, encore faut-il courir après ces choses, alors que d’autres font le choix de prendre ce que la vie a à leur offrir. On comprend alors que l’on n’est pas maître de son temps et quand l’on comprend cela, il devient peut-être possible d’être plus zen. Encore là, il importe de dire que cet état n’est pas une exclusivité des régions, mais l’environnement socioéconomique étant, il y a peut-être quelques variables qui favorisent cette disposition.

Quelles sont ces constantes  pouvons-nous nous interroger? Sans tomber dans de grossières généralisations, il faut bien avouer que le concept de modernité plaçant l’individu au centre de la société s’est davantage affirmé dans les grands centres urbains, alors que les régions portent encore, mais pour combien de temps, des valeurs ou plutôt des savoir-être plus traditionnels. Certains diront folkloriques, voire archaïques… ce qui est faux, car ces savoir-être sont de plus en plus utiles, notamment comme balises précieuses et dynamiques pour participer activement à la modernité.

Cela dit, le rapport à l’autre à travers la famille, la paroisse, la communauté, etc., apparaît être la constante de la pertinence. L’idée que, certes, l’individu est au centre de la société pour la simple et bonne raison qu’il est la plus petite unité de mesure, il est aussi au centre dans la mesure où il sert le groupe, la société dans laquelle il évolue et qu’il demeure l’unité de pertinence, de viabilité. Implicitement, on comprend que l’individu ne peut réalistement exister sans le groupe et que le groupe ne peut exister formellement sans les individus. Le rapport de force, positif comme deux entités qui s’appuient l’une sur l’autre pour s’élever, transforme le groupe en famille, en communauté, en paroisse, etc., et l’individu en personne. Le fait d’être une personne reconnue par la communauté, plutôt qu’un numéro, avec un nom (surtout un nom de famille en milieu rural), une histoire, une couleur, doit contribuer pour beaucoup à la perception de son propre bonheur.

Le rapport au temps ou la constante de la mémoire. Ce temps cyclique qui revient de saison en saison et d’année en année. Cette conception du temps qui rappelle que l’on doit constamment recommencer le travail, qu’en prenant appui sur ce qui a été fait hier, on peut ou on doit améliorer ce qui se fera demain. Pour son propre bénéfice, mais aussi pour celui de ceux qui viendront après.  Une façon de voir les choses qui, nécessairement, milite en faveur d’un certain exercice de mémoire envers ceux (et même les événements) qui nous ont pavé la voie. Une suite logique de la première constante, la proximité et l’interdépendance des personnes portent naturellement à graver dans le temps le visage de personnes qui nous ont marqués; un temps qui en plus d’être cyclique devient personnifié et, qui n’étant pas poussé par une fuite en avant (c.-à-d. temps linéaire), laisse les choses survenir à un rythme plus lent…comme naturel. Ainsi, comprendre que son action a du sens aujourd’hui et pourra être appréciée demain doit bien contribuer à un certain bonheur. C’est là tout le sens de l’engagement de ces générations de bénévoles et de citoyens dans leur communauté, par exemple à l’intérieur des Cercles des fermières et des filles d’Isabelle chez les femmes, ou des Chevaliers de Colomb ainsi que des Optimistes chez les hommes.

Enfin, le rapport à la nature. C’est la constante de la responsabilité qui met en scène des hommes et des femmes qui comprennent que des forces bien plus puissantes qu’eux régissent leur environnement au sens propre comme au sens figuré. Les sautes d’humeur de Dame Nature en sont les plus beaux exemples, tout comme l’imprévisibilité de l’opinion publique à la veille d’une élection. Tenter de prévoir, ou pire, de manipuler ces méta éléments peut s’avérer très risqué. On comprend alors que notre sphère d’influence s’exerce à une autre échelle, plus personnelle, plus terre à terre, mais qu’à cette échelle nous avons beaucoup de pouvoir et au moins autant de responsabilités. Cette constante est le lieu de l’action, un espace ouvert à la créativité où peuvent se réaliser les plus entreprenants.

Est-ce que les gens des régions sont plus heureux que les urbains? Peut-être, mais est-ce vraiment important de déterminer lesquels sont les plus heureux? Je pense que l’on peut être heureux partout, pour peu que l’environnement dans lequel la personne évolue soit le bon. Certes, il y a en région des éléments puissants qui permettent de faire concorder son existence avec quelque chose de plus grand, mais encore faut-il avoir de l’intérêt pour autre chose que le moi, l’ici et le maintenant. Ce qui ne semble pas être la voie sur laquelle nous sommes engagés individuellement et collectivement en ce début de millénaire.