mardi 11 novembre 2014

Biais sur l’argent et les entrepreneurs en région

L’argent, ce mal-aimé des Québécois, dit-on, qui à l’origine devait être un outil est devenu, pour certains, une fin en soi qui conditionne les humeurs et les comportements.  Pour les ruraux on se rappellera, sourire en coin, de Séraphin Poudrier comme une certaine représentation d’un quelconque Québec rural du 19e siècle.
Aujourd’hui, cette relation ambivalente des Québécois à l’argent a tendance à s’exprimer notamment à travers l’opinion que les gens ont des entreprises et/ou des gens d’affaires. En effet, symptôme d’une incompréhension quasi généralisée, on associe souvent personnalité d’affaire à richesse, fortune, avidité, insensibilité, etc. Ce qui est aussi farfelu que de faire un lien entre politique et corruption ou entre chômage et paresse, mais les raccourcis intellectuels sont tenaces.
Évidemment, il faut faire des distinctions, car il y a un monde entre la grande entreprise, transnationale, spéculative et désincarnée et la PME locale. Cela dit, dans tous les cas, les envieux auront toujours quelques choses à reprocher à celui ou celle qui a réussi en affaire comme dans n’importe quel autre domaine. Toutefois, pour le reste des gens, il m’apparait que c’est une question de relation et de perception du rôle de l’entrepreneur dans la collectivité. Dans le procès initié contre l’argent, apparaît en toile de fond le faux débat entre bien-être collectif et bien-être individuel occultant du même coup la vraie question de la juste contribution de chacun au devenir collectif (voir passage de la bible sur les talents confiés à deux ouvriers).
Les entrepreneurs ont un rôle extrêmement important à jouer dans nos communautés, car ils sont et demeurent les premier et principaux concentrateurs de richesse (comme à l’habitude j’ai eu comme premier réflexe d’écrire « créateur de richesse ») alors qu’en réalité, dans un monde fini aux ressources limitées, on ne crée réellement que très rarement de la richesse, et encore là c’est tout un débat, l’idée la plus juste sera alors de parler de concentration de richesse en un lieu X en une période Y.  C’est là leur principale fonction dans l’écosystème collectif. Bien entendu, peu d’entre eux ont une vision aussi désincarnée de leur destiné. Néanmoins, ils ont pour la plupart une certaine conception de leur rôle dans la communauté. Des plus égocentriques aux plus altruistes.
En région, rappelons que l’anonymat n’existe pas ou très peu, c’est une réalité qui fait fuir plusieurs jeunes au début de l’âge adulte et nombre de « gentlemen farmer » après avoir bien pris la mesure de leur nouvelle réalité sociale. Toutefois, c’est aussi une des raisons qui poussent des centaines de jeunes par année à se lancer en affaire en milieu rural. Il est intéressant de savoir que le statut social et la reconnaissance sont deux des principaux stimulants de l’entrepreneur en devenir, mais aussi de comprendre qu’en région, l’engagement collectif et la solidarité en sont deux des principales portes d’accès.
Si les astres s’alignent favorablement, l’entrepreneur à succès se retrouve devant deux options : celle de jouer son rôle de développeur régional en y investissant une certaine intensité, souvent relative au rôle que veut bien lui confier sa communauté, ou celle de quitter la région physiquement ou virtuellement  pour éviter de se laisser entrainer, de façon stérile, dans des jeux de pouvoir ou d’influence sans véritable gagnant et ce, fréquemment au détriment de la PME elle-même.
Si, après des années, des décennies de travail et d’investissement en ressources de toutes sortes,  le temps étant souvent le plus précieux, l’entrepreneur connaît un certain succès, et que par grand bonheur il est, un tant soit peu, de la trempe des développeurs, deux autres options se présentent. La première est de s’investir au maximum dans la communauté tout en visant la pérennité de l’entreprise sans plus [1](voir aussi étude Desjardins, 2014), ou y aller à fond dans le développement de l’entreprise avec l’ambition de générer le plus d’externalités possible pour le bien de l’entreprise elle-même, mais aussi pour celui de la communauté. L’histoire s’occupera de reconnaître, le cas échéant, la contribution de l’entrepreneur dans sa communauté. Certains diront, non sans une quelconque perspicacité, que la plupart des entrepreneurs tenteront la seconde option avant de se rabattre sur la première.
Il n’en demeure pas moins que le sentiment d’appartenance et la solidarité deviennent alors des forces centrifuges ou centripètes. Dans certains cas l’entrepreneur se voit comme un acteur de développement fiduciaire d’un actif collectif[2] (voir texte sur l’entrepreneur 2.0).
Pour certains, les entrepreneurs qui ne veulent plus croitre sont à bout de souffle et c’est vrai, car le Québec est encore accroché au vieux modèle du « self-made-man », le super héros qui œuvre seul et sur qui repose l’avenir de l’entreprise. Il faut assurément revoir nos modèles d’affaires, envisager davantage l’entreprise réseau, le véritable entrepreneuriat collectif ou la formule coopérative, particulièrement dans les milieux ruraux d’où a émergé ce modèle.
Cela dit, le rapport à l’argent fait encore éminemment partie de l’équation et des rapports entre les ruraux. C'est pourquoi le volet solidarité influence positivement ou négativement le rapport à l’argent. En région, des centaines et des centaines d’entrepreneurs à succès comme Louis Gilbert, important entrepreneur et développeur de mon village ou Mme Verreault en Gaspésie redonnent ou ont redonné beaucoup à leur collectivité. Cela fait partie d’une forme de contrat social qui renoue avec l’idée que tous et particulièrement ceux à qui la vie a souri, les entrepreneurs à succès en sont fréquemment les plus connus, ont un rôle à jouer dans la communauté.
Comprenons ici que pour une majorité de ruraux le travail est une valeur sacrée, plus encore, un mode de vie, possible reliquat de la période agraire. Ainsi, consciemment ou non, comme les ruraux se représentent souvent comme de « bons travaillants », mais que tous n’obtiennent pas le même succès, il devient alors évident qu’à effort égal, ceux qui réussissent ont assurément été gratifiés de plus de talent et à se compte, doivent en redonner un peu plus à la collectivité. Ainsi, à titre de privilégié par la nature(ou de Dieu au sens anthropologique du terme), si le bien nanti ne redonne pas autour de lui, qu’il ne s’implique d’aucune façon dans la communauté -et il n’est pas nécessairement question d’argent ici-, c’est là qu’il peut devenir un simple opportuniste, à tort ou à raison[3].
En ville, bien que tout aussi présent et conditionnant les relations sociales, le rapport à l’argent me semble moins partie prenante de la construction d’une relation entre deux individus agissant à l’intérieur d’un tout cohérent, la communauté de proximité, elle-même intervenant dans la relation. L’effet de masse et/ou la fonctionnalisation/fragmentation des réseaux sociaux semble avoir favorisé le développement d’une relation à l’argent plus éthérée ou plutôt noyée dans une mer d’anonymat. Le contraire de la réalité en région ou les « biens nantis » sont toujours partie prenante de la communauté alors qu’en ville on ne connaît que très rarement le propriétaire de l’entreprise du coin.
Ainsi en région, le méchant riche se nomme Pierre-Jean-Jacques, habite sur la rue des Mal-aimés et a fait fortune à vendre des bébés aux sorcières. Alors qu’en ville, le même désagréable personnage tient plutôt du bonhomme sept-heure ou de l’ogre malveillant. Une force menaçante et insaisissable qu’il faut craindre parce qu’elle nous veut du mal…..Bon Halloween.
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Chronique du 3 novembre à l'émission Question d’actualité.




mercredi 5 novembre 2014

Le boom démographique de la MRC Jacques-Cartier



La MRC de la Jacques-Cartier est en plein boom démographique. L'âge moyen est de 35 ans, alors qu'il est beaucoup plus élevé pour le reste de la région. C'est à cet endroit que vont s'installer les jeunes familles, n'en déplaise à Qc qui fait des pieds et des mains pour attirer ces dernières. Pourquoi en est-il ainsi ? Comment gère-t-on ce développement résidentiel important sans défigurer l'aspect rural et sauvage de l'endroit ? La MRC de la Jacques-Cartier : le nouvel Eldorado des jeunes familles? Invité(es) :Mathieu Vigneault, Robert Miller, Mario Carrier.


mercredi 29 octobre 2014

Présentation lors du colloque anniversaire de l'OJS

Observatoire Jeunes et soci�t�
https://www.youtube.com/watch?v=Oy9eCOl7Yg4

Colloque anniversaire sous le thème:
15 ans de recherche auprès des jeunes


« La recherche, outil de choix pour bâtir une politique pour la jeunesse? »
Lieu : Hall d’entrée de l’Édifice INRS-Québec

Au moment où le gouvernement du Québec s’apprête à élaborer une nouvelle politique de la jeunesse,  quelle place devrait occuper la recherche? Quelle vision de la jeunesse devrait inspirer ces politiques?  Deux questions qui seront abordées lors de la table ronde présentée en ouverture du colloque.

samedi 27 septembre 2014

Billet sur la valeur de l'espace!


C’est grand le Québec, dit-on! Je m’apprête à vivre l’une des expériences ultimes de l’étendue de notre territoire. Après avoir parcouru la très grande majorité des coins du Québec pour affaires, études ou pour le loisir, je m’embarque aujourd’hui pour les Îles-de-la-Madeleine! Particulièrement excité, car selon la bibliothèque familiale, après cinq générations, je suis le premier à retourner à l’endroit où se sont fixés mes ancêtres au retour du « Grand dérangement ». Toutefois, c’est à titre de développeur économique que ce cours voyage dans le golf du St-Laurent m’enthousiasme le plus. (Mon entrevue sur les ondes de CFIM)


Oui c’est grand le Québec, plus que la majorité d’entre nous (ruraux de la vallée du St-Laurent comme urbain) peut l’imaginer. Et pour moi c’est clairement une richesse. De tout temps les royaumes et autres états du monde  ne se sont-ils pas battus pour élargir leurs frontières à la recherche de ressources naturelles, de  nouvelles populations, de marchés pour l’économie métropolitaine, etc.  Et nous, Québécois du 21e siècle avons hérité de tout cela; un territoire vaste qui se conjugue en milliers de kilomètres.

En y repensant bien, avec l’état des finances publiques et la pyramide démographique qui s’inverse, est-ce devenu un problème? Au mieux un défi?

Mais quant est-il? Comment se faire une tête sur la valeur de cet actif collectif? Il y a, bien entendu, le fait que les secteurs agroalimentaire, de la forêt ou des mines sont des moteurs de l’économie de l’ensemble du Québec, mais encore!

À mon sens, ces espaces majestueux constituent à la base une partie, voire l’architecture ou l’ADN de notre identité collective québécoise. D’abord, l’idée que tout autour de nous est abondant, que la ressource est à portée de main nous a servis. Nous avons cultivé la terre pour nous nourrir et pour bâtir nos maisons, nos villes, puis les usines nécessaires à l’exploitation des ressources sont apparues et de là l’expertise à la racine du Québec Inc.  Mais au-delà de la ressource, il y a ces distances vertigineuses  qui ont concouru à bâtir la québécitude.

Pour beaucoup on se définit par rapport à l’autre et quand l’autre est loin cela a une influence sur la façon dont l’individu se définit. C’est la même réalité pour nos régions chez qui on a découvert certains traits et une identité territoriale forte. Concrètement, on retrouve cette réalité largement expliquée par le phénomène d’insularité. Au-delà de la lettre il s’agit de l’isolement, pendant un temps plus ou moins long, d’une communauté du reste de sa société d’appartenance au point où les insulaires en viennent à développer une perception d’eux-mêmes fortement teintée de leur relation de proximité avec l’environnement, par exemple. 
Ainsi, au 18e et 19e siècle, à une époque faite de temps longs, se sont développées la plupart de nos régions et certainement celles dont l’identité s’affirme avec le plus de vigueur. On imagine facilement l’épopée de nos amis Madelinots et Gaspésiens, mais il y a aussi, celle des Beaucerons, des Sagamiens et plus récemment nos compatriotes de l’Abitibi-Témiscamingue.

Aujourd’hui, évidemment, la distance ne se vit plus de la même façon, mais elle continue d’incarner ces particularismes régionaux qui demeurent fondamentalement importants et signifiants. Heureusement toutefois, pour l’entrée en scène des Québécois dans la modernité, le développement des modes de transport et des TIC a facilité l’interconnexion entre les différentes régions et les grands centres et permis de faire le pari d’un Québec moderne et ouvert sur le monde.

C’est voies de communication établies, nos décideurs, nos intellectuels, nos artistes, nos jeunes et nos entrepreneurs ont pu légitimement miser sur leur développement en puisant dans les énergies de leurs racines, en sachant que le monde leur était accessible sans pour autant se couper de leurs origines. Depuis, c’est autant de Dubuc, de Bouchard, de Lemaire, de Leclerc, de Dutils, etc., qui ont contribué au développement du Québec et à son rayonnement dans le monde. Il ne fait aucun doute pour moi que ce que les régions ont dans l’âme c’est-à-dire une relation à l’espace, au temps, au pouvoir, etc., contribue à rendre plus dynamique et plus prospère l’ensemble du Québec. 

Quand je retourne dans mes souvenirs, que je me rappelle mon grand-père agriculteur et forestier toute sa vie ou quand je pense à mon voisin toujours aussi actif sur ses terres à 80 ans et que je fais le parallèle avec ma propre vie aujourd’hui, je comprends mieux l’idée que l’espace et le temps n’ont pas la même signification en milieu rural et en milieu urbain. Pour mon grand-père le temps était long et circulaire. Il était rythmé par les saisons et l’idée que ce qui va mourir aujourd’hui pourra renaitre demain. Au bout du compte, ce qui était important était qu’à titre de seul maître de son environnement après Dieu, il avait la responsabilité d’entretenir le cycle. Mes amis Madelinots disent eux qu’ils ne regardent pas l’heure, ils regardent le temps.

À l’inverse pour ma part, j’ai l’impression que chaque minute compte. Qu’une heure dans le trafic, sur lequel je n’ai aucun contrôle, est une heure perdue à jamais. Que mon grand défi soit de gagner un temps qui ne m’appartient pas, voir que je doive le dérober à quelqu’un d’autre… Est-ce à cela que Sartre faisait référence quand il disait l’enfer c’est les autres?

Faut-il donc s’inquiéter de la diminution de l’accessibilité des services de transport[1]  reliant les régions les plus excentrées aux grands centres urbains? Ou du déploiement trop lent des communications Internet à large bande par rapport à l’évolution rapide de la planète internet, la nouvelle échelle de référence[2]? Certainement! Collectivement on ne peut considérer qu’une partie du Québec soit davantage ouverte sur le monde qu’une autre! Nous avons tous l’obligation de nous comparer aux meilleurs...fussent-ils à l’autre bout du monde.

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Par ailleurs, aujourd’hui plus que jamais, on ne peut imaginer ou faire l’économie d’une région n’assumant pas son plein potentiel au bénéfice de sa propre population d’abord, mais aussi pour l’ensemble du Québec. Cependant, la situation économique suggère que nous ne pouvons pas nous contenter de solutions faciles du genre tout au marché, tout à l’État ou tout au citoyen. Généralement, ni l’un ni l’autre n’a les moyens d’assumer seul le maintien des régions dans la chaîne de création de valeur. L’heure est à la responsabilisation de tous en faisant preuve de ténacité et de créativité; deux qualités dont les ruraux sont bien pourvus!