L’urbanisation
croissante que connaît le Québec n’a rien d’un phénomène isolé propre à notre
coin de pays. Il s’agit d’une réalité historique, développée avec
l’industrialisation des sociétés à partir du milieu du 19e siècle.
Cependant, pour plusieurs territoires, dont le Québec, elle s’est grandement
accélérée tout au long du 20e siècle, hormis une courte pause entre
la grande dépression et la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le phénomène
s’est par la suite stabilisé autour des 80 % au début des années 1960, en
particulier sous l’effet du baby-boom plus
observé en milieu rural.
Stimulées
par l’avènement de la société de consommation, ainsi que par une population
jeune et stable, les régions à caractère rural ont aménagé leur environnement en
construisant des espaces de vie adaptés à leurs besoins. Sont apparus progressivement
des écoles, des arénas, des routes, des théâtres, des centres commerciaux,
etc., afin de faciliter et d’agrémenter la vie quotidienne, et de créer ainsi
un parc d’actifs individuels et collectifs fort appréciable pour constituer un
cadre et un milieu de vie encore présents aujourd’hui.
Pour
plusieurs baby-boomers, investir dans
la construction et l’amélioration d’une résidence unifamiliale a longtemps été jugé
comme un placement sûr et rentable dans une stratégie plus ou moins planifiée
de préparation à la retraite. La propriété représente alors une part importante
du patrimoine et permet au propriétaire de bénéficier d’un revenu implicite extrait
de la valeur nette du logement. À cela s’ajoute, selon la Société d’habitation
du Québec (SHQ), le fait que le niveau de revenu diminue considérablement lors
de la retraite, alors que les coûts de loyer augmentent considérablement si
l’on est locataire. « La propriété contribue donc à la sécurité financière
des ménages, en particulier à leur sécurité future. À long terme, au moment de
la revente, la valeur de la propriété définira la marge de manœuvre du ménage
pour se reloger. [i]»
Au
Québec comme ailleurs, le marché immobilier dépend majoritairement de
paramètres territoriaux tels que la démographie, le marché de l’emploi,
l’aménagement, les infrastructures, etc. Cependant, aujourd’hui, la réalité
démographique remet en cause cet espoir d’une retraite dorée et confortable
pour nos aînés, particulièrement dans les milieux ruraux.
À
l’instar de l’ensemble du Canada, le taux d’achat de propriétés atteint un sommet
au Québec chez les 25-39 ans, oscillant entre 4 % et 8 %[ii]. Naturellement, à
l’opposé, les taux de vente explosent après 70 ans, mais, fait intéressant, en
excluant cette cohorte de vendeurs. C’est chez les 30-40 ans que l’on observe
les taux de vente les plus élevés, phénomène s’expliquant par la croissance des ménages et les derniers
soubresauts de mobilité des personnes. S’installe alors théoriquement un
certain équilibre par lequel les jeunes ménages qui font l’acquisition d’une
maison contribuent directement ou indirectement à la santé financière des aînés
qui s’en départissent.
Selon
les études de la SCHL et de la SHQ, une augmentation prévisible du nombre de
ménages stabilisera l’écart entre l’offre et la demande pour le Québec comme
pour le Canada dans son ensemble, favorisant même une légère croissance du
marché immobilier au cours des prochaines années. Cependant, la taille des
ménages aura tendance à diminuer passant de 2,3 personnes en 2006 à 2,1 en
2031. Causée notamment par le vieillissement des populations, cette réalité
influencera la nature de la demande de plus en plus orientée vers le logement
locatif ou la copropriété, ce qui fera passer la demande de propriétés individuelles
(bungalow, cottage, etc.) d’un sommet entre 2006-2011 à 58 % vers un creux
historique de 10 % en 2026-2031.
Par
ailleurs, selon l’étude de l’ISQ réalisée pour le compte de la SHQ, il est
démontré que dès 2016 la région de la Côte-Nord et, en 2026, les régions du Saguenay-Lac-Saint-Jean
et du Bas-Saint-Laurent pourraient basculer dans un scénario où plus de vendeurs
que d’acheteurs occuperaient le marché.
Pour
les autres territoires à caractère rural, sachant que les taux d’achat sont les
plus hauts dans les cohortes des 25-39 ans, un parallèle avec les derniers
bilans démographiques laisse croire que l’équilibre fragile entre les cohortes
de vendeurs (70 ans et plus) et d’acheteurs (25-40 ans) pourrait s’effriter
plus rapidement que planifié.
L’une
des pistes de solutions demeure la migration, incluant celle des immigrants qui,
selon une étude de la Banque Scotia, présentent une progression du taux de
propriétés supérieur à celui des Canadiens d’origine. En effet, entre 2001 et
2006, le taux de propriétés des immigrants est passé de 68 % à 72 %, soit une
progression de 4 % en comparaison au 2 % sur un total de 75 % du côté des
Canadiens de souche. Toutefois, selon la Fédération des chambres immobilières
du Québec (FICQ), les immigrants comme les aînés ont une forte tendance à se
tourner vers la copropriété[iii].
Clairement,
la migration des jeunes offre des perspectives économiques intéressantes pour diverses
raisons. En ce qui concerne le marché de l’immobilier, elle contrebalancerait
ou du moins atténuerait l’effet du renversement de la pyramide démographique
sur la revente des propriétés unifamiliales et, sur le plan financier, protègerait
la valeur des investissements de nos aînés.
Par
ailleurs, il s’avère qu’un marché immobilier actif et sain est particulièrement
bénéfique à l’économie d’une communauté. Non seulement le secteur immobilier
génère des centaines d’emplois en ville comme en milieu rural, mais chaque
transaction engendre en moyenne plus de 34 000 $ en dépenses extra
transaction. En 2008, les estimations établissaient les retombées attribuables
à l’emménagement à plus de 2,8 milliards de dollars annuels[iv].
En
résumé, si le nombre de ménages augmente dans les prochaines années, notamment
en raison de l’allongement de l’espérance de vie et de l’éclatement des
familles, il y aura certes un impact sur le marché de l’immobilier et le nombre
de transaction. Toutefois, il convient de garder à l’esprit qu’au cours des
deux prochaines décennies, la totalité des baby-boomers
aura atteint l’âge de 70 ans et, à moins d’un changement dans les modus operandi, ceux-ci rechercheront davantage
de logements locatifs ou en multipropriété, libérant de nombreuses maisons
unifamiliales. L’effervescence due à l’augmentation du nombre des ménages
n’aura donc que peu d’impact, sinon négatif, sur la valeur des maisons
unifamiliales et, par voie de conséquence, sur la valeur du patrimoine des
personnes âgées. Cette perspective touche particulièrement les régions non
métropolitaines, car 87 % des propriétés qui appartiennent à la cohorte des
45-75 ans sont des maisons individuelles[v].
Parallèlement,
en plus du vieillissement de la population, l’augmentation constante à venir du
nombre de ménages mettra beaucoup de pression sur les municipalités et les
promoteurs privés pour la construction et l’aménagement de logements locatifs
ou en copropriété. Or, dans les régions rurales les plus excentrées, les
promoteurs risquent de moins en moins à investir, et les institutions
financières à les soutenir. Dans ce contexte, la SHQ suggère même de limiter la
construction de nouveaux logements aux milieux en forte croissance
démographique ou économique et propose d’éviter d’encourager la construction
résidentielle dans les milieux qui ne sont pas déjà desservis par les services
publics.
Ma chronique du 23 février à l'émission Question d'actualité avec Jean-Philippe Trottier.
[i] SOCIÉTÉ
D’HABITATION DU QUÉBEC (SHQ). « Le vieillissement de la population et le
logement : exploration en banlieue », Le bulletin d’information de la Société d’habitation du Québec, vol.
5, n° 2, 2011, 16 p.
[ii] CORTELLINO,
Francis, et HUGHES, Kevin. « Vieillissement de la population au
Québec : se dirige-t-on vers un surplus de propriétés existantes à
vendre? », dans RHEAULT, Sylvie, et POIRIER, Jean. Le vieillissement démographique : de nombreux enjeux à déchiffrer,
Québec, Institut de la statistique du Québec, 2012, p. 225-231.
[iii] FÉDÉRATION
DES CHAMBRES IMMOBILIÈRES DU QUÉBEC (FCIQ). « Marché de la revente et
tendances démographiques au Québec », Fenêtre
sur le marché, février 2010, 14 p.
[iv] FÉDÉRATION
DES CHAMBRES IMMOBILIÈRES DU QUÉBEC (FCIQ). Retombées
économiques de la vente et l’achat de propriétés par l’entremise du système MLS
dans la province de Québec, Toronto, Ont. [préparé pour le Groupe Altus],
2009, 16 p.
[v] LEDUC,
Stéphane. Les Baby-boomers et le
logement. Habitation Québec, Société d’habitation du Québec, vol. 5, n°1,
automne 2010, 16 p.