lundi 23 mars 2015

Billet sur l’immobilier en région:


L’urbanisation croissante que connaît le Québec n’a rien d’un phénomène isolé propre à notre coin de pays. Il s’agit d’une réalité historique, développée avec l’industrialisation des sociétés à partir du milieu du 19e siècle. Cependant, pour plusieurs territoires, dont le Québec, elle s’est grandement accélérée tout au long du 20e siècle, hormis une courte pause entre la grande dépression et la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le phénomène s’est par la suite stabilisé autour des 80 % au début des années 1960, en particulier sous l’effet du baby-boom plus observé en milieu rural.

Stimulées par l’avènement de la société de consommation, ainsi que par une population jeune et stable, les régions à caractère rural ont aménagé leur environnement en construisant des espaces de vie adaptés à leurs besoins. Sont apparus progressivement des écoles, des arénas, des routes, des théâtres, des centres commerciaux, etc., afin de faciliter et d’agrémenter la vie quotidienne, et de créer ainsi un parc d’actifs individuels et collectifs fort appréciable pour constituer un cadre et un milieu de vie encore présents aujourd’hui.

Pour plusieurs baby-boomers, investir dans la construction et l’amélioration d’une résidence unifamiliale a longtemps été jugé comme un placement sûr et rentable dans une stratégie plus ou moins planifiée de préparation à la retraite. La propriété représente alors une part importante du patrimoine et permet au propriétaire de bénéficier d’un revenu implicite extrait de la valeur nette du logement. À cela s’ajoute, selon la Société d’habitation du Québec (SHQ), le fait que le niveau de revenu diminue considérablement lors de la retraite, alors que les coûts de loyer augmentent considérablement si l’on est locataire. « La propriété contribue donc à la sécurité financière des ménages, en particulier à leur sécurité future. À long terme, au moment de la revente, la valeur de la propriété définira la marge de manœuvre du ménage pour se reloger. [i]»

Au Québec comme ailleurs, le marché immobilier dépend majoritairement de paramètres territoriaux tels que la démographie, le marché de l’emploi, l’aménagement, les infrastructures, etc. Cependant, aujourd’hui, la réalité démographique remet en cause cet espoir d’une retraite dorée et confortable pour nos aînés, particulièrement dans les milieux ruraux.

À l’instar de l’ensemble du Canada, le taux d’achat de propriétés atteint un sommet au Québec chez les 25-39 ans, oscillant entre 4 % et 8 %[ii]. Naturellement, à l’opposé, les taux de vente explosent après 70 ans, mais, fait intéressant, en excluant cette cohorte de vendeurs. C’est chez les 30-40 ans que l’on observe les taux de vente les plus élevés, phénomène s’expliquant  par la croissance des ménages et les derniers soubresauts de mobilité des personnes. S’installe alors théoriquement un certain équilibre par lequel les jeunes ménages qui font l’acquisition d’une maison contribuent directement ou indirectement à la santé financière des aînés qui s’en départissent.

Selon les études de la SCHL et de la SHQ, une augmentation prévisible du nombre de ménages stabilisera l’écart entre l’offre et la demande pour le Québec comme pour le Canada dans son ensemble, favorisant même une légère croissance du marché immobilier au cours des prochaines années. Cependant, la taille des ménages aura tendance à diminuer passant de 2,3 personnes en 2006 à 2,1 en 2031. Causée notamment par le vieillissement des populations, cette réalité influencera la nature de la demande de plus en plus orientée vers le logement locatif ou la copropriété, ce qui fera passer la demande de propriétés individuelles (bungalow, cottage, etc.) d’un sommet entre 2006-2011 à 58 % vers un creux historique de 10 % en 2026-2031.

Par ailleurs, selon l’étude de l’ISQ réalisée pour le compte de la SHQ, il est démontré que dès 2016 la région de la Côte-Nord et, en 2026, les régions du Saguenay-Lac-Saint-Jean et du Bas-Saint-Laurent pourraient basculer dans un scénario où plus de vendeurs que d’acheteurs occuperaient le marché.

Pour les autres territoires à caractère rural, sachant que les taux d’achat sont les plus hauts dans les cohortes des 25-39 ans, un parallèle avec les derniers bilans démographiques laisse croire que l’équilibre fragile entre les cohortes de vendeurs (70 ans et plus) et d’acheteurs (25-40 ans) pourrait s’effriter plus rapidement que planifié.

L’une des pistes de solutions demeure la migration, incluant celle des immigrants qui, selon une étude de la Banque Scotia, présentent une progression du taux de propriétés supérieur à celui des Canadiens d’origine. En effet, entre 2001 et 2006, le taux de propriétés des immigrants est passé de 68 % à 72 %, soit une progression de 4 % en comparaison au 2 % sur un total de 75 % du côté des Canadiens de souche. Toutefois, selon la Fédération des chambres immobilières du Québec (FICQ), les immigrants comme les aînés ont une forte tendance à se tourner vers la copropriété[iii].

Clairement, la migration des jeunes offre des perspectives économiques intéressantes pour diverses raisons. En ce qui concerne le marché de l’immobilier, elle contrebalancerait ou du moins atténuerait l’effet du renversement de la pyramide démographique sur la revente des propriétés unifamiliales et, sur le plan financier, protègerait la valeur des investissements de nos aînés.

Par ailleurs, il s’avère qu’un marché immobilier actif et sain est particulièrement bénéfique à l’économie d’une communauté. Non seulement le secteur immobilier génère des centaines d’emplois en ville comme en milieu rural, mais chaque transaction engendre en moyenne plus de 34 000 $ en dépenses extra transaction. En 2008, les estimations établissaient les retombées attribuables à l’emménagement à plus de 2,8 milliards de dollars annuels[iv].

En résumé, si le nombre de ménages augmente dans les prochaines années, notamment en raison de l’allongement de l’espérance de vie et de l’éclatement des familles, il y aura certes un impact sur le marché de l’immobilier et le nombre de transaction. Toutefois, il convient de garder à l’esprit qu’au cours des deux prochaines décennies, la totalité des baby-boomers aura atteint l’âge de 70 ans et, à moins d’un changement dans les modus operandi, ceux-ci rechercheront davantage de logements locatifs ou en multipropriété, libérant de nombreuses maisons unifamiliales. L’effervescence due à l’augmentation du nombre des ménages n’aura donc que peu d’impact, sinon négatif, sur la valeur des maisons unifamiliales et, par voie de conséquence, sur la valeur du patrimoine des personnes âgées. Cette perspective touche particulièrement les régions non métropolitaines, car 87 % des propriétés qui appartiennent à la cohorte des 45-75 ans sont des maisons individuelles[v].

Parallèlement, en plus du vieillissement de la population, l’augmentation constante à venir du nombre de ménages mettra beaucoup de pression sur les municipalités et les promoteurs privés pour la construction et l’aménagement de logements locatifs ou en copropriété. Or, dans les régions rurales les plus excentrées, les promoteurs risquent de moins en moins à investir, et les institutions financières à les soutenir. Dans ce contexte, la SHQ suggère même de limiter la construction de nouveaux logements aux milieux en forte croissance démographique ou économique et propose d’éviter d’encourager la construction résidentielle dans les milieux qui ne sont pas déjà desservis par les services publics.

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Ma chronique du 23 février à l'émission Question d'actualité avec Jean-Philippe Trottier.




[i] SOCIÉTÉ D’HABITATION DU QUÉBEC (SHQ). « Le vieillissement de la population et le logement : exploration en banlieue », Le bulletin d’information de la Société d’habitation du Québec, vol. 5, n° 2, 2011, 16 p.

[ii] CORTELLINO, Francis, et HUGHES, Kevin. « Vieillissement de la population au Québec : se dirige-t-on vers un surplus de propriétés existantes à vendre? », dans RHEAULT, Sylvie, et POIRIER, Jean. Le vieillissement démographique : de nombreux enjeux à déchiffrer, Québec, Institut de la statistique du Québec, 2012, p. 225-231.

[iii] FÉDÉRATION DES CHAMBRES IMMOBILIÈRES DU QUÉBEC (FCIQ). « Marché de la revente et tendances démographiques au Québec », Fenêtre sur le marché, février 2010, 14 p.

[iv] FÉDÉRATION DES CHAMBRES IMMOBILIÈRES DU QUÉBEC (FCIQ). Retombées économiques de la vente et l’achat de propriétés par l’entremise du système MLS dans la province de Québec, Toronto, Ont. [préparé pour le Groupe Altus], 2009, 16 p.

[v] LEDUC, Stéphane. Les Baby-boomers et le logement. Habitation Québec, Société d’habitation du Québec, vol. 5, n°1, automne 2010, 16 p.